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insolemment à l’hôtel de ville de San-Francisco, déclinèrent leurs noms et, se réclamant de la loi, demandèrent qu’on fixât le montant de leur caution. On exigea 42,000 dollars, plus de 200,000 francs, qui furent immédiatement souscrits.

Encouragés par ce premier succès, Kearney et ses partisans redoublèrent d’audace. Ils comptaient à San-Francisco de nombreux adhérens. La presse, ainsi qu’il l’avait dit, leur était généralement hostile, mais l’influence de la presse est assez limitée en Californie. La plupart des journaux sont inféodés à un parti ou à un homme ; on les lit, plutôt pour y chercher des renseignemens commerciaux que des opinions politiques. Par contre la misère était grande et l’exaspération contre les Chinois y était plus encore qu’ailleurs entretenue par d’incessans arrivages. La plupart des autorités locales et fédérales y résidaient, les meneurs résolurent de convoquer un mass meeting, d’entraîner la populace et d’aller à sa tête adresser au maire et au conseil municipal une pétition qu’ils entendaient bien convertir en une sommation impérieuse. Le 3 janvier dernier fut le jour fixé pour cette démonstration menaçante, et de part et d’autre on prit les mesures nécessaires. La loi ne permettait pas de s’opposer au meeting : le maire, M. Bryant, mit la police sur pied, enrôla des special constables, avisa le commandant des troupes fédérales, pendant que de leur côté les propriétaires et les capitalistes s’organisaient en milice, prêts à repousser la force par la force.

A l’heure dite, la foule encombrait Farrell-street. Une estrade dressée au milieu d’un terrain non bâti servait de tribune aux orateurs. Wollock, le bras droit de Kearney, ouvrit la séance par quelques mots significatifs. « La loi, dit-il, donne à manger au voleur ; elle refuse du travail et du pain à l’ouvrier qui meurt de faim. Nous voulons du travail et du pain. Marchons en ordre, sachons exiger et nous verrons qui osera se refuser à nos justes demandes. » Kearney prit ensuite la parole : « Si, dit-il, il n’y a pas un grand changement d’ici à peu, on verra aux États-Unis la plus terrible révolution qui ait jamais éclaté. » La procession se mit en marche et se rendit à l’hôtel de ville, où Kearney demanda qu’une délégation, dont il faisait partie, fût reçue par le maire. Ce dernier consentit. Kearney exposa les demandes des ouvriers. « Si, dit-il, vous vous refusez à faire ce qui est nécessaire, je vous déclare que je ne ferai rien, moi, pour retenir ceux qui me suivent, et que vous exposez la ville au pillage. Il y a péril urgent. Parlez vous-mêmes à ces hommes, donnez-leur du travail ; si la loi s’y oppose, dites-leur de piller un magasin, faites-les arrêter ensuite si vous pouvez, et vous serez bien forcé alors, de par la loi, de leur donner du pain. » Après avoir longtemps résisté à ces sommations, le maire dut céder devant l’impatience et les vociférations de la foule. Il déclara