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qui n’ont rien; la politique a créé des nationalités diverses, elle a divisé les peuples pour les contraindre à se haïr et pour les mieux dominer; la conclusion logique, s’il en fut, c’est d’égorger les Chinois et de courir sus à la race asiatique, au nom du grand principe de la fraternité humaine et de l’alliance des races.

Kearney n’a pas craint d’affirmer qu’il avait dernière lui 60,000 hommes d’action, prêts à tout: « C’est assez, dit-il, pour faire trembler les riches et les contraindre à rendre gorge. » Le 19 décembre dernier il convoquait, dans la petite ville de los Angelos, à vingt lieues au sud de San-Francisco, un meeting public de ses adhérens dans cette localité. Plus de 3,000 se rendirent à son appel, hommes résolus et déterminés, — disaient-ils, à le suivre là où il les conduirait. Quelques extraits de son discours donneront une idée de la violence de son langage : « Demain probablement les journaux de San-Francisco vous traiteront de ramassis de coupe-gorges et de vagabonds. La presse californienne est à la solde des bandits, gros actionnaires de chemins de fer, tels que Stanford et Cie, de voleurs de terres, comme Billy Carr. Les autorités municipales sont les plus infâmes brigands que le monde ait vus. Je vous dis et je vous répète que les Chinois partiront. Peine de mort à qui reviendra. La constitution des États-Unis ne nous donne pas seulement le droit de dénoncer publiquement le directeur de la compagnie à vapeur du Pacifique, mais aussi le président de la république. Celui-là, nous irons le chercher à la Maison-Blanche, et nous le conduirons à la porte par les oreilles. On vous dupe depuis trop longtemps. Que font nos représentans à Sacramento? Ces gens-là vous vendent comme ils vendraient Jésus-Christ, pour un verre de bière. Plus de Chinois, achetez de la poudre et des balles. Quant à vos représentans, achetez de la corde et pendez-les haut et court. Le voulez-vous? Que ceux qui le veulent lèvent la main. (Toutes les mains se lèvent). A la bonne heure, vous entendez les affaires... Il faut modifier la constitution ; il faut que l’ouvrier figure au premier rang, il faut contraindre les riches à rendre gorge. Cela fait, nous nous débarrasserons des prétendus partis démocrate et républicain, aussi voleur l’un que l’autre. Quand nous aurons pour nous depuis le gouverneur jusqu’au dernier employé, nous licencierons l’armée, et l’armée ce sera nous[1]. »

On le voit, les Chinois servent de prétexte aux revendications les plus absurdes, mais aussi les plus menaçantes. Ce n’est pas à eux seuls que s’en prend Kearney, mais dans le langage le plus séditieux il réclame une révolution radicale. Les autorités s’émurent. Un mandat d’arrestation fut lancé contre Kearney et les principaux meneurs. Ils ne l’attendirent pas. Prévenus aussitôt, ils se rendirent

  1. Extrait du Républicain de los Angelos du 20 décembre 1877.