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intérêts ouvriers menacés ont rapproché des nationalités différentes et qui se neutralisaient dans une certaine mesure, des passions communes ont éveillé des haines assoupies, et la question du paupérisme s’est dressée devant des masses qui la croyaient résolue.

On a vu pendant la grève des chemins de fer, si consciencieusement étudiée ici même[1] par M. Cucheval-Clarigny, le rôle des nationalités diverses représentées aux États-Unis. Dans le débat soulevé par l’immigration chinoise en Californie, si nous ne trouvons pas encore les mêmes excès, les mêmes atteintes à la propriété, nous voyons préconiser l’emploi des mêmes moyens, et les passions soulevées confondre dans une haine commune l’émigrant asiatique et le capitaliste américain ou européen.

Si par socialiste on entend désigner quiconque s’occupe des questions sociales, tout le monde l’est plus ou moins. Quand nous parlons du parti socialiste aux États-Unis, nous entendons désigner par là ceux qui préconisent la solution des problèmes sociaux à l’aide de moyens révolutionnaires. C’est ce qu’ont voulu faire les chefs de la grève des chemins de fer, c’est ce que prétendent faire ceux qui dirigent le mouvement socialiste à San-Francisco. Les Irlandais et les Allemands sont en tête, et cela se comprend. Ils sont les plus directement intéressés dans la question, les plus menacés dans leurs intérêts immédiats. Le travail manque, la concurrence chinoise les ruine. Si l’on prend par exemple les travaux d’édilité publique, il est bien évident que le conseil municipal d’une ville aussi obérée que San-Francisco préférera, quelles que soient d’ailleurs les idées personnelles de ses membres, employer des Asiatiques qui coûtent trois fois moins cher et travaillent aussi bien. Ce fut là le point de départ de la campagne entreprise. Le maire de la ville fut sommé de rompre les contrats passés, puis, les exigences croissant avec la misère, on le mit en demeure de s’opposer au débarquement des Chinois, enfin de procéder à l’expulsion de ceux qui se trouvaient déjà sur le territoire de l’état. Ces prétentions insensées étaient formulées dans le langage le plus violent par les meneurs du parti, Kearney, Pickett, Knight, O’Donneil, Day et autres. Dès le début, le mouvement fut et est resté purement social. Le parti des workingmen, ouvriers, comme il s’intitule lui-même, a, par l’organe de son principal orateur, Kearney, répudié hautement toute alliance avec le parti républicain et avec le parti démocrate. Il les confond dans une haine commune, les déclare corrompus et pourris, incapables de résoudre aucune des questions soulevées, et prétend se substituer à eux. Les théories de l’Internationale dominent parmi ses partisans. Les questions politiques n’existent pas, disent-ils, il y a seulement des questions sociales, des gens qui possèdent et d’autres

  1. Voyez la Revue du 1er et du 15 octobre 1877.