Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/582

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Éconduit de l’ambassade, Vergy alla trouver d’Éon et offrit de lui raconter toutes les manœuvres dont il avait été chargé pour venir à bout de ses résistances. Il ajouta même en confidence qu’il était venu de Paris, envoyé tout exprès par le duc de Praslin, afin de lui chercher querelle et de le tuer. D’Éon n’avait garde de négliger un si utile auxiliaire. Quelle bonne fortune ne serait-ce pas, par exemple, que de faire accuser M. de Guerchy par le témoignage d’un de ses commensaux habituels! L’histoire de l’empoisonnement par l’opium dénoncée, non par un ennemi connu, mais par un témoin, presque par un complice à qui on aurait proposé de s’y associer, et qui s’y serait seulement refusé à la dernière heure, prenait quelque vraisemblance. Il ne fallut pas beaucoup de temps à d’Éon pour imaginer cet artifice et pour dicter à Vergy, sous forme d’aveu et de pénitence, un récit de la tentative d’assassinat, horrible et piquant à la fois.

La dénonciation une fois rédigée, Vergy jura qu’il était prêt à l’affirmer sur l’honneur devant Dieu et devant les hommes, à la signer de sa main et à la sceller de son sang. Pour commencer, il en publia tous les détails, dans une lettre adressée au duc de Choiseul et qu’il envoya imprimer à Liège, de crainte d’un nouveau procès; puis ce fut lui qui vint en personne, de la part de d’Éon, répéter la même affirmation sous serment, devant le président de la cour du banc du roi et porter une accusation en forme.

L’imputation était si absurde qu’au premier moment Guerchy en éprouva plus d’horreur que d’émotion. « J’avais lieu de croire, écrivait-il, que d’Éon avait mis le comble à sa scélératesse par tous les traits de sa conduite passée ; mais rien de tout cela n’approche de ce qu’il vient de fabriquer et qui fait frémir d’horreur. » Il croyait même sincèrement tout arrêter en se rendant lui-même, malgré ses privilèges d’ambassadeur, devant le juge saisi de l’affaire, convaincu que la dénégation d’un honnête homme étoufferait à l’instant cette sotte affaire.

Mais d’Éon connaissait mieux la procédure et, jugeant aussi mieux l’état de l’opinion, se croyait au contraire sûr de son fait ; il écrivit à Paris un véritable chant de triomphe. « Enfin, monsieur, disait-il au comte de Broglie, voilà le complot horrible découvert. Je puis à présent dire à M. de Guerchy ce que le prince de Conti disait au maréchal de Luxembourg avant la bataille de Steinkerke : « Sangaride, ce jour est un grand jour pour vous, mon cousin. » Le roi ne peut s’empêcher maintenant de voir la vérité. Elle est mise au grand jour. J’agis de mon côté, j’ai instruit le duc d’York et ses frères de la vérité et des noirceurs du complot contre vous, le maréchal de Broglie et moi. Ceux-ci instruisent le roi, la reine et la princesse de Galles ; M. de Guerchy est dans la plus grande