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UN PROJET
DE DESCENTE EN ANGLETERRE
SOUS LOUIS XV

LE CHEVALIER D’ÉON

Ceux des lecteurs de la Revue qui ont très bonne mémoire se rappelleront peut-être confusément que je leur ai fait lire il y a quelques années un exposé assez complet, d’après des documens inédits, des circonstances dans lesquelles avait pris naissance la diplomatie secrète de Louis XV[1]. Je leur expliquais que cette intervention clandestine du souverain dans la conduite de la politique extérieure avait eu pour cause première le dessein d’élever un prince français au trône de Pologne. C’était une pensée toute personnelle à Louis XV et que n’approuvait pas son ministère, dégoûté des sacrifices ingrats qu’avaient coûté, dans plusieurs occasions précédentes, sous les Valois et sous Louis XIV, des entreprises de même nature. Au lieu d’imposer ses vues à ses ministres, le faible souverain préféra les poursuivre à leur insu, par le moyen d’agens auxquels il donnait lui-même des instructions ignorées de leur chef officiel. Le comte de Broglie, nommé ambassadeur en Pologne en 1752, eut ainsi deux missions différentes et presque contradictoires à remplir. Le ministre des affaires étrangères lui recommandait de garder la neutralité entre les divers prétendans qui pouvaient aspirer à la succession après la mort d’Auguste III. Le roi lui ordonnait de frayer les voies à l’élection du prince de Conti.

Tout marcha assez paisiblement, et le comte put suffire sans trop de difficultés à l’un et à l’autre rôle tant que la politique générale de l’Europe fut au repos, et tant que la froideur, et même une hostilité

  1. Voir la Revue du 15 mai, du 15 juin et du 15 juillet 1870.