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reste de l’univers, a son refuge dans le cœur de l’homme, et c’est ainsi que le monde moral, ne de la conscience humaine, va se relever en face du monde physique, théâtre des jeux éternels de l’atome, instrument et matière du destin.

Mais le Chercheur ne veut pourtant pas reconnaître qu’il s’est entièrement trompé dans son enquête à travers le monde. En même temps qu’il rétablit la justice dans le cœur de l’homme, il soutient que, hors l’espèce humaine, elle n’a aucune raison d’être, que nos griefs contre la Nature ou la Divinité sont sans fondement. La Nature n’est pas soumise aux lois de notre conscience, et la Divinité, si elle existe, laisse faire à la Nature son œuvre nécessaire ; le large plan qui se développe à travers l’infini de l’espace, du temps et du nombre, ne peut se laisser troubler par les incidens misérables de nos plaintes et de nos gémissemens. L’univers s’est fait sans la vertu, il se maintient et durera sans elle. Tous ces mots sacrés n’ont de sens que pour l’homme; la conscience est l’unique autel de la justice. Ce que nous appelons le mal en dehors de nous n’est qu’un moyen fatal, la condition d’un ordre qui nous dépasse infiniment. Mais l’homme ne peut pas se séparer de ce sentiment qui est en lui et sans lequel il ne serait pas homme :

Si, hors du genre humain, tu n’es plus qu’un vain nom,
En lui du moins tu vis, qu’il t’obéisse ou non.
C’est que, formée en nous depuis notre naissance,
Ta nature, ô Justice! est notre propre essence.


Elle crée en moi la dignité, elle m’enjoint d’être homme et de respecter l’homme, elle marque l’avènement d’un phénomène nouveau dans l’univers, le sentiment du devoir. Les choses reprennent ainsi leur ordre et leur proportion; la Terre n’est qu’un des plus petits corps de l’infini céleste, mais elle vaut mieux (que le plus beau soleil, parce qu’elle a fait l’homme et que l’homme a trouvé la justice dans son cœur. Chacun de nous devient ainsi le mandataire et le gardien de l’honneur de la Terre qui a formé et nourri l’espèce humaine, ouvrière inconsciente de ce qu’il y a de plus beau et de plus grand dans le monde, un cœur qui bat pour la justice et la vérité. Elle a fait l’homme en achevant lentement et pièce par pièce l’ouvrage ébauché par les infinis, que ces infinis s’appellent l’Éternité, l’Étendue, ou la Cause première qui n’a pas dit encore son vrai nom. L’homme n’est pas leur œuvre; elles ne l’ont pas fait toutes seules, il lui fallait la Terre pour mère et pour nourrice, et après combien d’essais, de tâtonnemens gigantesques, de moules brisés :