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et de rigueur où la science est arrivée, la formule de ses lois, qui n’admet plus d’à peu près, échappe au rythme et à la langue poétique. On doit laisser aux purs savans, géomètres, astronomes, physiciens, le soin d’établir les formules, d’énoncer dans un style approprié soit les rapports des quantités abstraites, soit les relations des phénomènes et les évaluations numériques qui les déterminent. Un poète serait insensé qui voudrait refaire, dans les conditions spéciales et avec les ressources de son art, le tableau général que M. de Humboldt nous a tracé du cosmos, plus insensé encore s’il prétendait soit reproduire dans la langue des vers les expériences du laboratoire ou les lois de l’optique et de l’électricité, soit nous donner une exposition complète et précise des principes de l’astronomie. La loi de l’attraction, si grande dans ses applications, si simple dans la formule mathématique qui l’énonce, ne fournirait au plus habile artiste de vers que la matière d’un jeu puérilement laborieux de style, l’occasion d’un tour de force, une sorte de charade poétique. — En ce sens, et s’il ne s’agissait que de cela, M. Sainte-Beuve aurait mille fois raison de dire que le style des Laplace est le seul qui convienne à ce genre de sujets. Mais est-ce là tout, et en dehors du détail des expériences et de la formule précise, qui échappent au poète, n’y a-t-il pas pour lui, au contact de la science, bien des sources profondes et neuves d’inspiration?

Il y a tout un côté dans la science par où elle agit profondément sur le sentiment et sur l’imagination, et c’est par ce côté qu’elle appartient à la poésie. S’il vous est arrivé de causer avec un grand astronome ou un grand chimiste, assurément vous n’aurez pu échapper à la fascination de l’enthousiasme grave dont ces intelligences sont remplies et qui n’est que la sympathie profonde pour les objets dont elles sont possédées, l’émotion des découvertes déjà faites, le tourment vague et délicieux de celles qui restent à faire. Vous n’avez pu sortir de ces entretiens sans que votre âme ait été remuée et fécondée. Vous vous êtes, pour un instant, identifié avec la pensée du savant, soit qu’il fût alors agité par une conception nouvelle et sur la trace d’un des mystères de la nature, soit qu’il fût encore animé de la joie d’une découverte récente, ou bien qu’il ait résumé devant vous l’état de la science contemporaine dont il est en partie le créateur, l’éclairant par des traits imprévus d’une grandeur saisissante. Trouverait-on ailleurs une disposition d’esprit plus poétique que celle-là, et à ces heures privilégiées, n’y a-t-il pas autant de poésie dans les conceptions animées d’un Le Verrier ou d’un Pasteur que dans les plus belles inspirations d’un Lamartine ou d’un Victor Hugo? Telle est l’âme des vrais savans, un foyer d’enthousiasme, voilé souvent sous les nuages de la méditation, dans les intervalles