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Il ne l’appela qu’en plein conflit parlementaire, lorsque sa tâche était assez avancée pour permettre à la diplomatie de commencer son œuvre, lente et tortueuse, parallèlement avec celle de ses généraux. « Il lui fallait alors, comme l’a dit M. V. Cherbuliez dans les belles pages, parfois prophétiques, qu’il a consacrées à l’Allemagne nouvelle, un de ces hommes indispensables qui, suivant l’expression de Gil Blas, possèdent l’outil universel. » Il lui fallait un ministre assez habile pour créer l’occasion et assez audacieux pour ne se laisser arrêter ni par les prétentions des partis, ni par les liens qui unissent entre elles les cours d’Allemagne. M. de Bismarck fut cet homme. Il mit au service de son maître toutes les ressources de son esprit et son indomptable énergie pour amener la guerre et l’imposer à l’opinion publique. Sa diplomatie sut préparer des alliances et neutraliser les gouvernemens les plus intéressés à combattre son ambition. Il réussit enfin, par les manœuvres les plus savantes, à faire tomber l’Autriche dans les pièges qu’il lui tendait. Mais l’ambition du roi mit à sa disposition les élémens essentiels et indispensables au succès, une grande et vaillante armée qu’il avait réorganisée en lutte ouverte avec le sentiment du pays, et dont M. de Moltke était le chef d’état-major général. Il ne marchanda pas sa confiance à son ministre, il ne prit aucun ombrage de ses propos et de ses agissemens, et s’il eut des défaillances, elles furent plus apparentes que réelles. « Le dernier venu, me disait un diplomate prussien, a toujours raison auprès du roi; mais ce dernier venu est toujours M. de Bismarck. »

On peut dire que, si le roi Guillaume est arrivé à réaliser le rêve de sa vie, la reconstitution de l’empire germanique, ce n’est qu’au prix d’un labeur incessant, sacrifiant ses fantaisies, ses plaisirs et jusqu’à son amour-propre au bien de l’état, dont il se considérait comme le premier fonctionnaire, ne ménageant pas sa personne, toujours en mouvement, surveillant l’armée, contrôlant sa diplomatie, et s’appliquant à faire oublier l’égoïsme et les équivoques de sa politique par le charme de sa personne et la bienveillance de son accueil. En tout cas, on chercherait vainement dans l’histoire un ministre et un souverain se complétant aussi merveilleusement ; il n’y a pas, que je sache, d’exemple de deux volontés et de deux ambitions identifiées à ce point. Sully s’efface devant Henri IV, pour lui laisser tout l’honneur de sa grande politique, et Louis XIII disparaît devant Richelieu, tandis qu’on sera toujours embarrassé pour déterminer et pour préciser la part exacte qui revient au roi Guillaume et à son ministre dans l’œuvre qu’ils ont accomplie en commun.

Le caractère et la volonté du roi eurent à subir de rudes épreuves pendant les semaines qui précédèrent la guerre. Sa correspondance