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encore sonné, mais elle ne tardera pas, et alors Paris, qui est encore le centre vers lequel tout converge, sera délaissé; il ne sera plus ni interrogé, ni consulté, ni sollicité, et, au lieu de conseils et d’ordres, il n’en partira plus que des plaintes et des récriminations.

Ce qui frappe dans ces correspondances si dramatiques, écrites au jour le jour, c’est qu’on y rencontre à chaque page le nom de l’empereur. Celui de Victor-Emmanuel ne s’y retrouve jamais, bien que ce souverain ne reste pas étranger aux affaires de son pays et qu’il ait hérité de toutes les qualités de la maison de Savoie ; quant au nom du roi de Prusse, il n’apparaît que lorsque M. de Bismarck, pour les besoins de sa politique, se croit obligé d’invoquer un obstacle insurmontable. C’est à peine si, à de rares intervalles, on entrevoit le ministre français; mais l’empereur est toujours en scène. Il est entouré, questionné, circonvenu par des diplomates insinuans qui protestent de leur dévoûment à sa personne et de leur sympathie pour la France, mais qui n’ont en réalité qu’un souci, celui d’obtenir le sacrifice de nos intérêts à l’ambition de leur politique.

Le général de La Marmora ne peut s’empêcher de s’émouvoir à ce souvenir, et dans une page attendrie, se rappelant les injustices et les « fureurs » dont l’empereur fut l’objet en Italie, il s’écrie : « On ne connaîtra probablement jamais, et je ne veux pas m’y arrêter, les propositions, les cajoleries et les offres avec lesquelles les ministres d’Autriche et de Prusse montaient chaque jour les escaliers des Tuileries. Que n’offraient-ils pas ! Ce qu’ils avaient et surtout ce qu’ils espéraient prendre, au mépris des préceptes de La Fontaine, que l’empereur dut leur rappeler plusieurs fois pour maîtriser les élans de leur générosité. »

A la fin du mois de mai, toutes les adhésions étaient arrivées à Paris. Le cabinet de Vienne seul n’avait pas donné de réponse explicite. Le 4 juin, M. Benedetti se trouvait chez le président du conseil, lorsqu’arriva la dépêche télégraphique annonçant que l’Autriche subordonnait sa présence au congrès à la double condition qu’on n’y débattrait aucune question territoriale et que les puissances renonceraient d’avance à tout agrandissement. « Vive le roi! s’écria M. de Bismarck à pleins poumons. C’est la guerre,» ajouta-t-il en laissant déborder sa joie.

C’était la guerre en effet que de rejeter le programme de la conférence et de convoquer les états du Holstein en violation du traité de Vienne et de la convention de Gastein, et c’était précipiter les hostilités que de déférer à la diète le règlement de la question des duchés Le 7 juin, le Moniteur français annonçait que les négociations étaient rompues. On allait être à la merci des faits après cet avortement des efforts tardifs de la diplomatie.