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au moment où l’Italie, inquiétée par les mesures que l’Autriche prenait dans le quadrilatère, invoquait l’assistance de la Prusse, cachait une défaillance. On avait reçu de Paris des appréciations alarmantes sur le sentiment public, et, en prévision d’un revirement dans la politique impériale, on tenait à conserver son entière liberté d’action, tout en maintenant l’Italie dans les liens de l’alliance[1]. « C’est sur nous-mêmes et sur la France, écrivait M. de Barral, qu’il faut compter, bien plus que sur la Prusse. » Le cabinet de Florence aurait donc pu à la rigueur, sans manquer à la stricte loyauté, se considérer comme dégagé de toute obligation, en s’appuyant sur les déclarations du roi de Prusse. On y songea un instant, car il fut question d’envoyer le général Govone à Paris pour s’entendre avec l’empereur sur l’interprétation qu’il conviendrait de donner au traité.

Mais la diplomatie prussienne était vigilante ; le cabinet de Berlin fut avisé sans retard, de tous côtés, des trames qui s’ourdissaient entre Paris et Vienne. « On est extrêmement préoccupé, télégraphiait M. de Barral le 6 mai, des négociations très actives, assure-t-on, qui se poursuivent entre l’Autriche et le cabinet des Tuileries, pour désintéresser l’Italie, et qui seraient allées jusqu’à l’offre de la ligne du Rhin à la France. »

M. de Bismarck s’en ouvrit avec notre ambassadeur en termes émus ; il reconnaissait avec une certaine amertume qu’il ne nous coûterait pas de grands efforts pour déterminer les Italiens à méconnaître leurs engagemens, mais il croyait que, si l’Italie lui refusait son concours, il serait encore temps pour la Prusse d’entrer en arrangemens avec l’Autriche. Il est vrai que quelques jours après il se montrait moins rassuré à cet égard; il était convaincu plus que jamais que le but du cabinet de Vienne était de faire payer à la Prusse le sacrifice de ses possessions italiennes, et sous cette impression, il ajoutait: « Si l’empereur nous abandonne en refusant de se concerter avec nous, et s’il facilite la cession de la Vénétie aux Italiens, il ne restera plus à la Prusse en face de ses adversaires que de désarmer l’Autriche par sa soumission, ou de soutenir une lutte formidable qui assurera peut-être la prépondérance de la maison de Habsbourg en Allemagne. » M. de Bismarck, malgré cette alternative, n’en restait pas moins résolu : « Si le roi m’écoute, disait-il,

  1. On a prétendu que, pour amener le roi à signer le traité, M. de Bismarck n’avait mentionné les mots d’alliance offensive et défensive que dans le titre et non pas dans le corps même de l’acte. On tirait de cette circonstance, qui n’avait rien de fortuit, la conclusion que la cour de Berlin était libre de tous ses mouvemens, qu’elle pouvait faire la guerre, ou ne pas la faire, en se servant de l’alliance au gré de sa politique, tandis que l’Italie, tenue de répondre à la première sommation, aurait perdu la faculté d’entrer en arrangemens sur Venise.