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ses conversations avec le président du conseil dès qu’elles menaçaient d’engager notre politique. C’est ainsi qu’un jour M. de Bismarck lui ayant témoigné son désir de mander auprès de lui M. de Goltz pour être définitivement fixé sur les intentions de l’empereur, dans le cas de complications sérieuses, il crut devoir couper court à l’entretien. « Je n’ai pas voulu, écrivait-il, provoquer des confidences ou des ouvertures auxquelles je n’aurais eu rien à répondre. Il m’a suffi de pouvoir vous apprendre d’avance le motif pour lequel l’ambassadeur du roi serait appelé à Berlin. »

En lisant les rapports si nombreux de M. Benedetti, véritables monologues qu’obstinément, malgré leur intérêt, on laissait sans réplique, on est nécessairement amené à se demander si notre ambassadeur et notre ministre des affaires étrangères ne se trouvaient pas l’un vis-à-vis de l’autre dans des conditions psychologiques particulières. Abandonné à ses propres inspirations, M. Benedetti poussait dans ses entretiens avec M. de Bismarck la circonspection jusqu’à ses limites extrêmes et s’étudiait à ne donner aucune prise au ministre dont il relevait, mais dont il ne possédait pas la confiance ; tandis que M. Drouyn de Lhuys, visiblement préoccupé des attaches de son agent avec ses adversaires au sein du conseil, s’appliquait à le laisser en dehors des négociations, qu’il préférait poursuivre à Paris avec le représentant du cabinet de Berlin. Il manquait, on le voit, à notre politique une condition essentielle de succès, la communauté de vues et de sentimens entre celui qui la dirigeait et celui qui devait l’interpréter.

À la fin de février, M. de Goltz arrivait en effet à Berlin pour assister chez le roi à un conseil extraordinaire auquel on avait convoqué le prince royal, le comte de Moltke et le général Manteuffel. M. de Bismarck apprit à M. Benedetti qu’il n’avait été arrêté dans ce conseil aucune mesure d’une exécution immédiate, mais que sa politique y avait prévalu, et que le langage de M. de Goltz avait convaincu tous les assistans de la cordialité des sentimens de l’empereur et de leur sincérité. Le conseil avait été unanime à admettre que l’on devait poursuivre l’annexion des duchés, tout en procédant avec une extrême prudence ; il avait reconnu toutefois que, cette politique pouvant soulever les plus grosses difficultés, il était urgent de s’y préparer financièrement et militairement, et qu’avant de marquer davantage l’attitude qu’on voulait prendre il importait de laisser au général Manteuffel le soin de préparer le terrain dans les duchés, c’est-à-dire d’aviser aux meilleurs moyens de provoquer le conflit avec l’Autriche, et à M. de Goltz celui de s’assurer les dispositions sympathiques du gouvernement de l’empereur.

Peu de jours après, M. Benedetti écrivait à notre ambassadeur à Vienne : « Je sais que Goltz nous a de nouveau, en retournant à Paris,