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la dernière imprudence de dire même approximativement ce qui sortira de cette situation; mais on peut croire sans trop se méprendre que, du pas dont marchent les choses, on pourrait bien se trouver pris plus tôt qu’on ne pense entre une témérité et une défaillance. »

C’est sur le thème de la violation du traité de Gastein que le cabinet de Berlin entreprit sa campagne diplomatique. Il prétendait qu’après les explications et les paroles si cordiales échangées pendant l’entrevue, tout devait l’autoriser à croire que l’Autriche était résignée et acquise à ses vues, qu’elle lui céderait sa part de souveraineté dans les duchés, et qu’au lieu d’encourager les partisans du duc d’Augustenbourg, elle administrerait le Holstein de manière à en faciliter l’annexion à la Prusse. M. de Bismarck accusait la cour d’Autriche de manquer à un engagement d’honneur. Il relevait dans les duchés tous les actes des agens autrichiens et s’obstinait à y voir des signes certains d’hostilité. Les griefs s’accumulaient de jour en jour et se traduisaient en plaintes périodiques dont le ministre de Prusse à Vienne se rendait l’interprète indigné.

Discuté dans l’entourage du roi, méconnu dans le pays, attaqué dans la presse et dans les chambres, M. de Bismarck ne pouvait plus détenir le pouvoir qu’à la condition de satisfaire l’amour-propre national. La réunion des duchés de l’Elbe à la monarchie devenait une nécessité impérieuse. Aussi, comme l’écrivait M. Benedetti, voulait-il à tout prix cette réunion soit par la paix, soit par la guerre. La guerre souriait davantage à son ambition ; elle lui ouvrait de nouvelles perspectives, la chance d’expulser l’Autriche de la confédération, de réaliser à la fois le double objet qu’il avait assigné à la politique prussienne, avant même d’en être l’organe officiel : la grandeur de la Prusse et sa prépondérance sur les autres états germaniques.

La cour de Vienne ne tirait aucun enseignement sérieux de ces menées, qui chaque jour devenaient plus significatives ; hautaine et formaliste, elle ne vivait que sur les souvenirs de son ancienne prépotence, oubliant que depuis Olmütz la Prusse avait changé de souverain et de ministre, et qu’elle-même avait subi Solferino et perdu son seul homme d’état, le prince de Schwartzenberg. On peut dire que, si elle a été surprise par les événemens, c’est qu’elle l’a bien voulu.

Quant au gouvernement de l’empereur, il assistait impassible et impénétrable au développement de cette crise, dont les péripéties lui étaient signalées par sa correspondance officielle avec une vigilance et une activité remarquables. Mais, laissé sans direction, notre ambassadeur à Berlin en était réduit à un rôle d’informateur souvent ingrat, car la plupart du temps il se voyait forcé de rompre