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de la république universelle : le remède n’est peut-être pas près d’être appliqué, et, serait-il appliqué tout à coup par une improvisation révolutionnaire, il n’aurait peut-être pas encore une souveraine efficacité. Pour le moment, il s’agit de choses plus sérieuses, et plus pressantes, et moins chimériques. Ce qui est certain, c’est que pour tout le monde la situation, telle qu’elle existe, telle qu’elle apparaît, a ses troubles, ses difficultés, ses embarras, qui, pour être de diverse nature, ne sont pas moins également graves. Assurément l’Autriche n’a point à craindre d’échouer ou de rester en chemin dans sa marche en Bosnie et en Herzégovine; elle a tous les moyens militaires de venir à bout de son entreprise, et dès aujourd’hui elle est à Serajewo, la capitale de la Bosnie, le premier objectif de sa campagne. Les divisions autrichiennes qui en partant de la frontière de Dalmatie et de la Save ont opéré pour se rencontrer autour de la capitale bosniaque, ces divisions n’ont pas laissé cependant d’avoir les plus sérieux obstacles à vaincre; elles ont eu d’incessans et fatigans combats à livrer, et elles ne sont entrées à Serajewo que de vive force, en domptant par le fer et le feu toute une population acharnée à la résistance. Les Autrichiens ont fait déjà des pertes sensibles, ils se sentent en pays ennemi, et ils ne peuvent se méprendre sur le danger d’une occupation contestée par les Bosniaques eux-mêmes, par une insurrection toujours prête à renaître. — C’est pour l’Autriche le premier résultat du traité de Berlin. Avant de recueillir le prix de ses efforts, elle a probablement encore à passer de mauvais momens.

La Russie, de son côté, n’a plus sans doute des combats à livrer, une guerre à soutenir. Elle est libre de rappeler ses forces et de licencier son armée, ne fût-ce que pour alléger le poids accablant sous lequel ses finances succombent; mais la Russie semble n’être sortie de la guerre d’Orient que pour se retrouver dans une crise intérieure d’autant plus redoutable qu’elle est vague, pleine d’obscurités, qu’elle procède visiblement d’une situation générale, d’un état moral profondément altéré. Certes, un des symptômes les plus caractéristiques et les plus sinistres de cette anarchie intime est l’attentat qui vient d’être commis à Saint-Pétersbourg contre le général Mezentsof, chef de la 3e section de la chancellerie impériale, en d’autres termes de la police secrète. Le général Mezentsof a été assassiné en pleine rue, à la pleine lumière, par un inconnu qui a pu aussitôt se sauver et qu’on n’a pas encore retrouvé. Rapproché de l’attentat précédemment dirigé contre le général Trepof, des agitations qui se manifestent dans certaines parties de l’empire, de l’audace croissante des nihilistes, le meurtre du général Mezentsof est assurément un indice grave. Et quand on rapproche le travail des nihilistes russes du travail socialiste allemand, on se demande quelle est au juste la situation de ces deux empires placés entre des menaces si évidentes d’anarchie et une réaction peut-être inévitable, peut-être impuissante.