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qu’ils fussent des vérités, et quel est le meilleur moyen de les combattre ? C’est de montrer qu’ils ne sont que des fictions, c’est de répondre par le mouvement régulier et mesuré d’un régime fait pour inspirer cette confiance invoquée par M. de Marcère comme le mot d’ordre d’une politique.

M. le ministre de l’intérieur a dit deux choses à la fois simples et frappantes. Il a dit : « Il faut que l’avenir des institutions soit assuré. Il faut que l’idée de durée, essentielle au bon ordre de l’état, fasse corps avec la république… » Et il a dit aussi : « Non, la nation n’est pas lasse d’être sage, et ses représentans républicains sont comme elle. On s’attache de plus en plus au bon ordre, à mesure que l’on en apprécie mieux les avantages, et les républicains n’ont pas de longues réflexions à faire pour savoir ce qu’ils y ont gagné… » — Eh bien ! oui, ces deux vérités sont inséparables. La confiance ne peut s’affermir qu’avec des institutions incontestées et définitives, organisées pour durer. La durée, à son tour, n’est possible que si, selon le mot de M. de Marcère, on ne se lasse pas d’être sage, et la sagesse dans la politique d’aujourd’hui, c’est d’éviter tout ce qui pourrait raviver des conflits, entretenir les inquiétudes, offrir des armes à des hostilités toujours en éveil ; c’est de ne pas laisser croire que les élections sénatoriales, en changeant la majorité, en faisant cesser un antagonisme qui n’est pas sans péril, pourraient être l’occasion de crises constitutionnelles, le commencement d’un abus de la victoire. C’est ainsi que l’entend M. de Marcère, et M. Waddington, en ministre des affaires étrangères qui a besoin de la paix intérieure, n’a fait que compléter la pensée de son collègue, en définissant, dans son discours de Laon, le caractère et le rôle du sénat renouvelé. M. Waddington a représenté le sénat comme devant être « un frein amical, non pas un censeur hostile ; » il a dit en toute sincérité que le vrai rôle du sénat était « d’écarter toutes les exagérations de droite et de gauche et de maintenir la république dans les voies de la sagesse et de la modération. »

C’est là toute la question, telle qu’elle se pose en effet. Qu’on se rende bien compte d’une situation où les fautes ne resteraient pas sans doute longtemps impunies. Évidemment le pays se sent porté aujourd’hui à se reposer, à se fixer dans des institutions qui ont déjà quelques années d’existence, qui ont résisté à des épreuves dangereuses. Le pays est dans le courant de la république ; il s’accoutume par degrés à un régime où il a trouvé la paix intérieure et la paix extérieure, où il a pu ressaisir ses forces et vivre sans trouble. Il ne demande pas mieux que de répéter avec confiance le mot qu’on a cité : « Pourvu que cela dure ! » Mais ce serait une singulière illusion de croire qu’en changeant de nature la république serait assurée d’avoir la même fortune. Elle pourrait encore, par des victoires contestées.