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 Il faut nous arrêter ici,
Vous n’en serez pas bien malade,
Et moi... Dans sa fosse transi,
C’est là que doit mon camarade.

« Un joyeux garçon, un cœur d’or.
Un ami, monsieur!.. quel dommage!
Personne ne sonnait du cor
Comme lui, les jours de voyage !

« Ici, je passe bien souvent
Et toujours en guise d’aubade
Je sonne l’air qu’en son vivant
Préférait mon vieux camarade… »

Il prit le cor, et sa chanson
S’envola vers le cimetière
Si gaiment que le compagnon
En dut tressaillir dans sa bière.

La claire fanfare du cor
Revint, par l’écho renvoyée,
Comme si le postillon mort
Répondait sous l’herbe mouillée...

Nous repartîmes au galop;
Mais bien longtemps je crus encore
Entendre au loin, comme un sanglot.
Cet écho dans la nuit sonore.


Il y a dans ce petit poème un accent d’humanité, une préoccupation amicale des joies et des souffrances des pauvres gens, qui est une des notes caractéristiques de la poésie de Lenau. Par là il se rapproche de Robert Burns. Mais une qualité qui fait presque toujours défaut au poète autrichien et dont Burns est doué abondamment, c’est la bonne humeur expansive, la joie tapageuse et communicative. — Les poésies lyriques de Lenau manquent de soleil, elles sont toutes baignées dans la même mélancolie un peu monotone, et la prédilection du poète pour les paysages nocturnes augmente encore cette teinte grise et attristée qui domine presque exclusivement dans son œuvre. Les souvenirs du pays des Magyars ont seuls le don de mettre de l’entrain et de la lumière dans sa poésie. Une pièce surtout, les Paysans de la Tissa, est remarquable par le mouvement, la vigueur et la sincérité de l’exécution. Lenau y décrit les paysans hongrois avec une verve et une précision qui feraient envie à un écrivain de l’école naturaliste contemporaine; Il nous montre les vieux attablés à l’auberge, se passant à la ronde le pain de froment « qui coûte cher, » et buvant à grandes lampées le capiteux vin rouge du cru. — « Ils essuient de la main et retroussent leurs longues moustaches afin qu’elles ne fassent point obstacle à l’ingestion