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bâiller, badar, ouvrir la bouche, pouerto badiero, une porte ouverte ; en portugais, bahia, une ouverture par où la mer pénètre dans les terres, une baie ; dans le dialecte breton, badalein, Miller, bada, être étonné, stupéfié. Rapprochez enfin le vieux français baier, béer, être attentif, à gueule bée, abaier (écouter avec étonnement), et la forme encore usitée béant, d’où l’anglais abeyance, attente, etc.

D’autre part, il est fort probable que les premières syllabes prononcées par l’enfant sont devenues dans toutes les langues les racines fécondes d’un grand nombre de mots. On a dressé la liste des noms qui, dans tous les idiomes connus, expriment les idées de père et de mère ; sauf quelques exceptions, on constate qu’à tous les degrés de la civilisation, sur les points du globe les plus éloignés, les syllabes pa et ma, ou tout au moins les consonnes p et m, en forment l’élément essentiel et primordial. Ordinairement p ou pa désigne le père, m ou ma la mère ; mais le contraire n’est pas rare. Doit-on penser, avec M.  Max Müller, que pitar, en sanscrit, πατηρ, pater, père, papa, father, dans les différentes langues indo-européennes, viennent d’une racine commune, pa, qui veut dire protéger ; que mâtar, μητηρ, mater, mère, maman, mother, mutter, etc., dérivent de la racine ma, produire ? Ne serait-ce pas plutôt qu’à toutes les époques, dans tous les pays, les parens épiant, pour ainsi dire, les premières articulations sorties de la bouche de l’enfant, ont recueilli ces deux syllabes si douces à entendre, et que, par suite, elles ont servi presque partout à désigner ceux-là mêmes qui sont le plus près de l’enfant, ceux que ses doigts et son sourire semblent montrer et nommer au moment où il les prononce ? Bref, il est permis de croire, à l’inverse de l’explication proposée par Max Müller, que les racines sanscrites pa et ma, protéger et produire, ont été tirées, par un travail ultérieur d’abstraction, des mots qui primitivement ont signifié père et mère. Et l’hypothèse est d’autant plus vraisemblable qu’il est bien prouvé que, si l’enfant apprend la langue de ses parens, ceux-ci, à leur tour, sont obligés de faire l’apprentissage de la sienne ; comment donc n’en retiendraient-ils pas certains mots, certaines syllabes, celles-là surtout qui s’échappent les premières de ses lèvres ? Plusieurs philologues se sont attachés à signaler nombre de vocables employés dans les nurseries anglaises, allemandes, italiennes, françaises, etc., et qui ont peu à peu conquis droit de cité dans la langue des adultes.

Mais, dira-t-on, si considérable qu’ait été à l’origine l’influence de ces différentes causes, elle est loin de suffire quand on considère l’immense multitude de mots qui n’ont pu venir ni de l’onomatopée,