Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par voie de conséquence et comme de lui-même sur les bases les plus larges et les plus sûres.

Le malheur de notre pays veut que les conditions de cet équilibre, qui serait le résultat de la pacification des partis, ne lui soient pas encore acquises, et on peut craindre qu’elles ne se fassent attendre, si on considère la situation présente des esprits, leurs défiances réciproques, leurs divisions, leurs passions qui semblent exclure l’espoir des efforts concertés. Il faut donc que, pour donner une valeur pratique à la discussion où je vais entrer, je la porte sur le terrain des réalités d’aujourd’hui, et qu’ayant pour point de départ notre état social et notre état politique comme ils sont faits, je montre qu’il est nécessaire et qu’il est possible que notre état militaire soit fait autrement, avec des facultés et des qualités qui lui seraient propres. Et j’en tirerai cette conséquence peut-être imprévue et hardie, mais contenant une espérance patriotique qui est, je le crois fermement, raisonnable et raisonnée, qu’en France, par exception à la logique ordinaire des faits, la reforme des institutions sociales et politiques serait précédée et préparée dans l’esprit public par la réforme des institutions militaires. Ainsi, aux divers modes d’éducation par la famille, par les écoles, par les pouvoirs publics, par la presse, viendrait s’en ajouter un autre très puissant dans ses moyens et dans ses effets, l’éducation nationale par l’armée.

A quel obstacle particulier, principal en même temps, se heurtent les efforts que les gouvernemens, les législateurs, les réformateurs font pour l’éducation des foules? A leur indifférence et à leur indiscipline. Or, aux foules militaires, et à celles-là seulement, il n’est ni permis, ni possible d’être indifférentes ou indisciplinées. Les hommes qui les conduisent ont le devoir et le pouvoir de se faire écouter et de se faire obéir. C’est une grande force, et elle supprime l’obstacle, en sorte que l’éducation des armées est bien plus facile et bien plus sûre que l’éducation des nations. Elle est aujourd’hui d’autant plus facile et plus sûre que, dans les armées modernes formées par le principe du service obligatoire et à court terme, dont tous les sujets sont très jeunes, on ne rencontre pas, comme dans les armées anciennes formées par les principes du service remplacé et à longue durée, cette catégorie si nombreuse de soldats qu’on pouvait appeler « les vieux endurcis, » qui s’emparaient presque inévitablement de l’esprit de la jeunesse régimentaire.

Qu’était l’armée dans la société française avant la révolution militaire qui s’accomplit en ce moment et dont la grandeur, alors même que les erreurs du temps n’en permettraient que l’accomplissement partiel, frappera tous les esprits éclairés? Une sorte d’instrument