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Quels seraient sur l’armée future les résultats de cette éducation nouvelle dont je crois avoir démontré l’urgence, défini le but et tracé brièvement le programme? Je ne voudrais ni les surfaire, ni les diminuer, je voudrais les juger. Il me semble d’abord que personne ne pourra contester à cette éducation et aux redressemens qu’elle opère le mérite considérable de mieux répondre à la plus-value de capacité intellectuelle et morale qu’offriront désormais les armées du service obligatoire. Et puis, est-il déraisonnable d’espérer que, lorsque de solides principes auront remplacé les illusions et les vanités de la légende, sans effacer ses gloires, lorsque des méthodes rationnelles de dressage des soldats auront succédé aux routines dans lesquelles nous restons de confiance depuis le commencement du siècle, lorsqu’enfin auront été fondées, avec le temps, les institutions par lesquelles il aurait fallu commencer cette grande entreprise de réformation militaire..., l’indifférence, dans l’esprit public et dans l’esprit des troupes, fera place à l’ardeur, le relâchement au travail productif, les apparences aux réalités? Les cœurs seront plus chauds, les esprits plus fermes, les âmes plus hautes. L’armée française de l’avenir, plus soucieuse de mériter l’estime et le respect du pays que d’obtenir ses louanges, sera bien près d’avoir résolu le grand problème de sa régénération.

Je termine ici cette discussion sur l’éducation de l’armée. Je sais, pour en avoir fait l’expérience, que beaucoup de ses officiers, convaincus qu’une armée n’est qu’un mécanisme dont la fonction est assurée, à la condition qu’il soit dirigé par des mains habiles et vigoureuses, trouveront que ce sont là des figures de rhétorique ou des rêveries philosophiques, bonnes pour un livre, vaines pour les champs de bataille. Je me résigne sans effort à ce jugement prévu. Mais j’assure les jeunes officiers qui sont l’espoir de la nouvelle armée française, qui n’ont pas encore de parti pris, dont la guerre de 1870 a ouvert les yeux et à qui je dédie expressément ce travail, que c’est avec cette rhétorique et avec ces rêveries que Stein, Scharnhorst, Humboldt, Arndt, Fichte, et d’autres avec eux et après eux, ont préparé à leur pays la fortune qu’on lui voit.


IV. — L’EDUCATION NATIONALE PAR L’ARMEE.

L’état social, l’état politique, l’état militaire sont les élémens solidaires d’un tout qui est le pays. Les deux premiers, depuis la fin du XVIIIe siècle, n’ont pas cessé d’être profondément troublés, et il est certain que s’ils étaient rendus, par les efforts concertés de la nation et de son gouvernement, à un équilibre qu’on pût tenir pour définitif, le troisième état, — l’état militaire, — s’établirait