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l’initiative individuelle, inspirée par un grand dévoûment et par une science profonde des mobiles qui agissent le plus énergiquement sur l’esprit et sur l’âme de la jeunesse. Et ma conclusion est celle-ci : Si ces méthodes qui moralisent, qui plient à la discipline et à la règle des groupes composés de jeunes pervertis, étaient appliquées avec les modifications convenables au gouvernement des groupes composés de jeunes hommes animés de bons sentimens, éclairés et presque tous disposés à bien faire, — l’armée remplit au plus haut point ces conditions, — que ne devrait-on pas en attendre?


Peut-être serait-on surpris qu’attribuant au sentiment religieux dans les armées une importance de premier ordre je n’eusse pas fait, dans cet exposé de mes vues sur l’éducation de l’armée française, une place à l’enseignement religieux. La question est difficile, mais je n’ai aucune disposition à l’omettre ou à la tourner, et je chercherai à la résoudre, disant à ce sujet toute ma pensée, avec la sincérité à laquelle on me rendra, j’espère, la justice que je n’ai pas jusqu’à présent manqué.

Très attaché à ces grands devoirs, je les envisage d’un point de vue particulier. Je ne crois, par exemple, ni à l’opportunité, dans les temps où nous sommes, ni à l’efficacité, ni même en certains cas à la dignité, au point de vue religieux, des manifestations de la religion en dehors du sanctuaire et en présence d’un public qui n’est pas choisi ou plutôt qui ne s’est pas librement choisi lui-même. Le régiment est un public spécial, je le reconnais, mais où on rencontre, comme dans toutes les foules, des croyans et des incrédules, des hommes sérieux et des railleurs, la plupart appartenant à la communion catholique, quelques-uns à des communions dissidentes, plusieurs n’appartenant à aucune en réalité, parce qu’ils sont indifférens à toutes. Le régiment est en outre une corporation rigoureusement soumise à la loi militaire, qui est impérieuse, exclusive et qui ne peut conserver ce caractère nécessaire qu’à la condition qu’on ne s’en serve pas pour faire prévaloir vis-à-vis des troupes des desseins ou des mesures qu’elle n’a pas prévus et définis. C’est là un principe en dehors duquel il serait impossible de maintenir dans la discipline cette corporation étroitement assujettie et absolument dépendante, qui n’a aujourd’hui sous les yeux, dans le pays, que des exemples d’émancipation et d’indépendance. Ainsi, il ne faut ordonner aux troupes rien qui ne soit dans les règlemens, et il est dangereux de leur demander rien qu’on ne puisse exiger en vertu des règlemens.

Partant de ces principes, qui sont la sauvegarde de notre état