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sans réserves. Quanta l’Autriche, notre ennemie séculaire, elle se débattrait comme elle le pourrait avec les états du midi. L’Allemagne serait divisée en deux parties bien distinctes; il n’était question alors que de deux tronçons, d’autant plus faciles à manier que leurs intérêts seraient désormais séparés.

La France, en tout cas, ne pourrait que se féliciter de ce résultat; elle n’aurait plus à sa porte une confédération compacte de plus de 40 millions d’habitans, toujours prête, sous l’inspiration d’une puissance militaire de premier ordre, comme l’Autriche, à la rappeler au respect des traités et à entraver sa légitime expansion. Il nous suffirait de rester spectateurs attentifs et bienveillans pour nous assurer d’aussi grands résultats; on ne nous demanderait rien en échange, sauf une chose délicate, à la vérité, mais fort naturelle, puisqu’il s’agissait de l’affranchissement de Venise, à savoir l’alliance italienne. Bref, on nous réservait la belle part, nous n’aurions qu’à pêcher, M. de Bismarck serait le brochet qui mettrait les poissons en mouvement.

D’autres argumens vinrent-ils en aide au ministre prussien en présence de l’empereur? Sans nous promettre les provinces rhénanes, nous a-t-il laissé entrevoir cette annexion? Nous a-t-il offert la Belgique, le Luxembourg et la Suisse française? Nous a-t-il proposé une alliance offensive et défensive pour se prémunir contre le mécontentement de la Russie, sans nous imposer d’autre obligation que celle de tenir les armées secondaires en respect et d’occuper le Palatinat bavarois à titre de gage provisoire ou définitif, suivant les conséquences de la guerre? Les propos lui coûtaient peu; politique réaliste, il appropriait son langage aux circonstances.

La diplomatie italienne lui parlait-elle des scrupules de l’Autriche à nous assurer la rive gauche du Rhin, il haussait les épaules et laissait entendre, — sachant bien que l’écho de ses paroles irait de Florence à Paris, — qu’il n’hésiterait pas, pour sa part, si l’empereur se décidait à s’expliquer avec lui. Il est vrai qu’à ce moment il pouvait craindre que le cabinet de Vienne, à nos sollicitations, ne fût disposé à désintéresser l’Italie. Ses inquiétudes s’étaient-elles dissipées, il n’entendait plus nous offrir que le territoire compris entre la Moselle et le Rhin et encore demandait-il en retour notre coopération armée. D’autres fois, dans les rares entretiens qu’il eut avec notre ambassadeur avant la guerre sur la question des compensations, il maugréait contre les répugnances du roi à sacrifier un pouce de territoire allemand. Ces scrupules, il ne les partageait pas; le grand Frédéric n’avait-il pas écrit un jour qu’il ne serait content que lorsque le Rhin servirait de lisière à la monarchie française?

Bien que certain de vaincre, M. de Bismarck, en homme prudent,