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Il ne pouvait être certain de nous gagner à sa politique que s’il parvenait à nous démontrer que la solution vénitienne serait la conséquence forcée de la solution germanique; que le règlement de l’affaire des duchés de l’Elbe, conformément à nos désirs, nous permettrait de soutenir et de sanctionner le principe des nationalités à la fois au nord, au midi et au centre de l’Europe, et qu’enfin nos frontières seraient rectifiées, si les événemens de la guerre devaient entraîner une modification territoriale en Allemagne.

Il en avait si bien le sentiment qu’il s’était fait précéder à Biarritz par une profession de foi entièrement conforme à ces idées. Quelques jours avant son départ de Berlin, il exposait à grands traits les lignes principales de son programme, dans l’espoir que ses paroles seraient fidèlement transmises à l’empereur. Il tenait à préparer son entrevue en indiquant à l’avance les combinaisons dont la Prusse et la France pourraient poursuivre de compte à demi l’accomplissement. — « Aucune des questions que l’empereur s’était proposé de soumettre au congrès en 1863 n’a été résolue, disait-il. De nouvelles difficultés ont surgi depuis, les intérêts scandinaves s’agitent, rien de stable n’est édifié dans les Principautés-Unies. Une parole auguste est restée engagée sur les bords du Mincio, et il s’est posé, par la volonté calculée de la Prusse, une question allemande. » Prenant un atlas, il traçait une ligne de démarcation dans le Slesvig; puis il montrait la Valachie, vers laquelle l’Autriche, si elle avait conscience de ses destinées, devait se laisser entraîner à vau-l’eau par le courant du Danube. Il examinait ensuite avec un soin particulier la configuration de la péninsule italienne; il trouvait que la ligne de l’Isonzo serait une frontière naturelle, mais il craignait qu’en entamant le territoire fédéral on ne soulevât des protestations en Allemagne. Il préférait la ligne du Tagliamento, et même celle de la Piave, à la condition toutefois qu’aucun coin du quadrilatère ne resterait au pouvoir des Autrichiens. Quant à la Prusse, il reconnaissait, suivant son thème habituel, qu’elle n’était pas en état de modifier seule, sans l’appui de la France, ses conditions d’existence, elle avait besoin de compter sur notre bon vouloir. Son ambition d’ailleurs était limitée : elle ne demandait qu’à se dégager d’une union mal assortie, qui l’obsédait depuis 1815. Avec une légère rectification de frontières, permettant de combler les solutions de continuité de son territoire, elle se constituerait au nord de l’Allemagne, à ses propres frais, une confédération à son image, qui aurait le mérite de n’inquiéter personne et de rester l’obligée reconnaissante de la France. La Prusse, rendue forte et homogène, servirait de boulevard contre les progrès menaçans de la Russie, et rien ne l’empêcherait de nous prêter en Orient un concours diplomatique