Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/93

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

consulaire une véritable autocratie, établie sur un terrain qu’elle traite comme terre française et dont elle s’engage implicitement par là à garantir l’intégrité. Aussi, tandis que les concessions fusionnées attirent le plus d’habitans et de contribuables, 2,500 Européens et 100,000 Chinois, la quasi-colonie française ne compte que 460 étrangers dont 230 Français. Dans les ports de Tientsin et de Canton, il existe aussi des concessions administrées de même. Ailleurs, les Européens ne sont que de simples locataires. A Canton comme à Tientsin, la concession française est un terrain absolument nu, sur lequel aucun négociant français n’a jamais songé à s’établir ; seule Shanghaï, avec ses palais et ses larges voies éclairées au gaz, ses wharves, son luxe d’équipages, ses fêtes princières, offre l’aspect d’une prospérité peu commune.

Mais ici comme ailleurs au prix de quels dangers les Européens ont-ils pu sauver et maintenir leurs établissement ! Sans parler des alarmes perpétuelles et de la situation précaire des settlements jusqu’en 1860, au bord de quels abîmes on s’est vu depuis lors, et quelle énergie il a fallu déployer pour n’y pas glisser ! Profitant de la désorganisation complète dans laquelle l’immense révolte des Taï-pings avait jeté l’empire, une insurrection locale se forma aux portes de Shanghaï, pillant et brûlant les villages des environs et menaçant les factoreries. Les bandes féroces des rebelles campaient à un mille de la concession. Les troupes anglaises ne suffisaient pas à veiller au salut de la population européenne, qui s’était organisée en corps de volontaires et attendait l’ennemi de pied ferme. Après divers aventuriers, le major Gordon, un jeune et vaillant officier anglais, prit le commandement d’un corps chinois, le disciplina, l’arma et réussit à purger de rebelles toute la province (1863). Faut-il rappeler les massacres de Tientsin, qui saignent encore au cœur de la France, ou des faits moins connus et moins graves, mais non moins alarmans, comme l’attaque, en 1874, d’un navire anglais, le Spark, par des pirates déguisés en passagers, et le meurtre de tous les passagers européens ? A Canton, à Tientsin, à Shanghaï, partout l’Europe semble un poulpe attaché aux flancs d’une baleine que l’immense cétacé peut secouer à chaque instant. La moindre convulsion de ce grand corps peut nous perdre. Mais la présence perpétuelle d’un danger qui éclate rarement amène une sorte d’incrédulité, et l’énergie redouble avec l’incertitude des résultats ; jamais le commerce ne fut plus actif qu’aux heures les plus inquiétantes de la colonisation.

Le mot concession n’a pas au Japon le même sens qu’en Chine ; car il ne représente plus une portion de territoire dévolue à un état étranger pour l’occuper à un titre quelconque. La concession est l’espace limité dans lequel doivent habiter les Européens sans