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fugitifs auxquels, quatre ans auparavant, il avait donné l’hospitalité. Mais le danger cette fois était plus grand ; ils ne s’arrêtèrent pas à Nole, qui était trop menacée ; ils allaient chercher un asile plus sûr en Sicile, en Afrique, ou même à Jérusalem, auprès du tombeau du Christ. Paulin, lui, ne songeait pas à fuir. Il avait accepté d’être évêque de Nole quand cet honneur était devenu un péril. Sans avoir d’autre arme que sa piété (pictate armatus inermi), il attendait de pied ferme les barbares, décidé à défendre contre eux son troupeau.

Le pape Grégoire le Grand raconte que, les Vandales ayant pris et emmené en Afrique un grand nombre d’habitans de Nole, saint Paulin vendit tous ses biens et ceux de son église pour les racheter. « Il ne lui restait plus rien, quand une pauvre veuve vint lui dire que son fils avait été fait captif et qu’on demandait une forte somme pour sa rançon. L’homme de Dieu se mit à chercher ce qu’il pourrait bien lui donner, mais il ne trouva rien que de se donner lui-même. » Il partit donc pour l’Afrique, prit la place de l’esclave, et rendit le fils à sa mère. M. l’abbé Lagrange ne paraît pas douter de la vérité de ce beau récit. Je voudrais en être aussi convaincu que lui ; mais, puisqu’il s’agit ici d’un disciple de saint Martin, il faut lui appliquer les règles que son maître avait établies, et « ne pas croire légèrement aux choses douteuses. » Assurément saint Paulin était bien capable de faire ce que la légende lui attribue, mais il me paraît difficile de croire, si l’histoire était vraie, que ni le prêtre Uranius, qui en racontant ses derniers momens a rappelé tous les grands événemens de sa vie, ni aucun autre contemporain, n’en aient parlé. Ce qu’Uranius raconte, ce qui me semble faire plus d’honneur encore à saint Paulin, c’est qu’au moment de mourir il pardonna à tous les hérétiques qu’il avait retranchés de l’église, et qu’il leur accorda la réconciliation et la paix ; c’est qu’après sa mort il ne fut pas seulement pleuré des fidèles, mais que les païens et les Juifs suivaient ses obsèques, déchirant leurs vêtemens et disant qu’ils avaient perdu leur protecteur et leur père. Ainsi, au milieu d’un siècle violent, après les plus vives polémiques, malgré l’ardeur de sa foi, il sut conserver jusqu’à la fin les vertus les plus précieuses et les plus rares, la tolérance et l’humanité ! C’est le plus bel éloge qu’on puisse faire de lui : c’est par là qu’il a mérité l’honneur d’être mis, à côté de son maître saint Martin, au premier rang des saints français.


GASTON BOISSIER.