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portraitistes de premier ordre, des paysagistes comparables à Claude Lorrain et à Ruysdaël, et des peintres de genre qui se distinguent par le sens de l’humour et par un sentiment exquis de la nature. Il y a en effet dans la section anglaise des portraits fort remarquables, d’intéressans paysages, parmi lesquels il faut signaler en premier lieu ceux de M. Fisher, et un nombre considérable de tableaux de genre, où règnent ce sens de l’humour, ce parfait naturel dans le sentiment et dans l’expression, cette verve comique et cette grâce enjouée dont parlait lord Beaconsfield. C’est surtout par le choix piquant des sujets et par une prodigalité de détails amusans et spirituels que l’exposition anglaise a enchanté le public. Quelques-unes de ces peintures, celles de M. Leslie et de M. Boughton, par exemple, pourraient servir d’illustration à quelques jolies scènes des romans anglais du dernier siècle ; d’autres, telles que les grandes toiles de M. Frith, son Derby day, sa Gare de chemin de fer, son Salon d’or, rappellent certains chapitres de Dickens ou de Thackeray ; mais ces regrettables romanciers, le dernier surtout, étaient de grands écrivains, MM. Leslie et Boughton ne sont pas des peintres. Leurs tableaux, d’une couleur mince, sans éclat, sans reflets, sans dessous, font l’effet de lithographies coloriées. Il en est aussi qui ressemblent à des aquarelles ; mais il faut s’empresser d’ajouter que les Anglais sont les premiers aquarellistes du monde, et nous ne comprenons pas pourquoi M. Walker a cru devoir recourir à l’huile pour peindre sa Vieille grille, qui pourrait très bien figurer parmi ses plus admirables peintures à l’eau.

Il y a cependant un artiste anglais, M. Millais, qui a vraiment le tempérament d’un peintre, une façon à lui de voir les choses et de les interpréter, beaucoup de caractère et de résolution. Il met sa marque à tous ses ouvrages, qu’on peut goûter plus ou moins, mais dans lesquels on sent la présence d’un homme qui se donne tout entier à ce qu’il fait. M. Millais s’est essayé dans tous les genres ; c’est surtout dans le portrait et dans le paysage qu’il excelle. Nous admirons médiocrement son Garde royal, qui ressemble un peu trop à un singe empaillé ; mais c’est un portrait vraiment magistral que celui du duc de Westminster. M. Millais a le grand mérite de composer ses portraits et de mettre son personnage en action. Il a représenté le duc en pied, dans son costume de fox-hunter, vêtu d’une casaque rouge, chaussé de grandes bottes jaunes, une casquette sur la tête, son fouet à la main. Il y a dans cette peinture une fermeté, une vigueur d’accent, une recherche du caractère, qui en font une œuvre hors ligne. M. Millais a fait aussi le portrait de trois sœurs jouant au whist, dont les robes grises ornées de nœuds roses se détachent sur un paravent chinois, près duquel s’étale un riche bouquet d’azalées. De ces trois sœurs, il n’en est