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compagnes ; elles la plaisantent, lui demandent des nouvelles de son amoureux, qui l’a plantée là ; elles ont l’air gausseur et mauvais, le rire pointu. La victime baisse les yeux ; en apparence elle ne s’occupe que de son travail, mais la colère couve et s’amasse au fond de son cœur, une vive rougeur empourpre son beau visage ; au bout de ses doigts crispés on croit voir mûrir un soufflet, qui éclatera tout à l’heure comme un pétard ; la joue qui le recevra en portera longtemps la marque ; aussi les mauvaises pièces se sont un peu reculées, elles craignent un accident. Il faut louer dans ce tableau la grâce et la fermeté du dessin, le caractère expressif des têtes, la vérité naïve des attitudes et un charmant sentiment de couleur. On s’étonne de rencontrer dans la section hollandaise les Ouvrières en perles de M. Van Haanen, comme on s’étonnerait de cueillir une orange dans une sapinière.

En sortant de la section des Pays-Bas, on entre dans une salle qui n’est pas beaucoup plus gaie. La Suisse, comparée à la Hollande, a joué un rôle bien modeste dans l’histoire de l’art ; elle n’a pas de longues et glorieuses traditions, et il ne faut pas lui demander non plus d’avoir un caractère tranché. La Suisse est une nation composée de trois races, qui sont des rameaux détachés des trois grands pays limitrophes ; ces trois races ne se ressemblent que par un goût commun pour les institutions sous lesquelles elles vivent et par un goût non moins vif pour la contrée qu’elles habitent. Au point de vue de la peinture, la Suisse a l’inconvénient de n’être ni un pays du nord, ni un pays du midi ; la lumière y est sourde ou crue, et les beaux sites dont elle est fière pèchent trop souvent par un manque d’harmonie. Elle n’en a pas moins le droit de se glorifier de ses Alpes et des beautés incomparables de ses lacs. Si nous ne l’avons pas comptée parmi les nations sans passé dans les arts, c’est qu’elle a produit une école de paysage alpestre, laquelle a été fort remarquée et a recruté des disciples dans les pays étrangers. Il en est sorti des œuvres originales et distinguées ; mais on lui a reproché deux défauts, l’abus du bitume et l’abus du procédé, deux grandes causes de tristesse dans la peinture. Il est dangereux de voir le monde au travers d’une formule, surtout quand cette formule est un préjugé.

La Suisse ne s’est pas piquée d’honneur, elle n’était pas en veine de coquetterie, son exposition a trompé l’espérance de ceux qui en attendaient beaucoup. Quelques-uns de ses peintres se sont abstenus ; il faut compter dans le nombre le plus remarquable de tous, M. Yan Muyden, artiste d’un talent exquis, dont les scènes italiennes et les admirables capucins ont servi de documens et de modèles à bien des gens qui ne s’en vantent pas. Les peintres suisses