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endettés négocient des emprunts. Mais les peintres hollandais d’autrefois avaient l’œil gai, ceux d’aujourd’hui ont l’œil triste. Comme l’a dit Hegel, « ce qui nous charmera toujours dans les maîtres illustres que produisirent jadis les Provinces-Unies, c’est leur manière de comprendre l’homme et la vie humaine, c’est leur joie naïve, leur liberté d’esprit, la fraîcheur et la gaîté de leur fantaisie, l’audace d’une exécution sûre d’elle-même, jointe à la magie du coloris. Le joyeux abandon de leur âme, ajoute-t-il, leur tenait lieu d’idéal, et ils nous montrent dans leurs tableaux ce dimanche de la vie, qui nivèle tout et embellit la laideur. » Les héritiers de leur art et de leurs traditions ne nous montrent plus qu’un ciel ténébreux, où la brume a tout envahi, et des paysans ou des bourgeois occupés à porter péniblement le poids de leur existence. A quoi faut-il attribuer cette mélancolique métamorphose ? En chercherons-nous la cause dans les ennuis, dans les tracas que leurs colonies procurent aux Hollandais ? Faut-il s’en prendre aux Achantis, à qui ils font la guerre la plus coûteuse, laquelle produit chaque année dans le budget un gros déficit ? Louis XIV était un ennemi un peu plus redoutable que les Achantis. L’invasion des troupes françaises en 1662 effraya tellement Van Ostade qu’il vendit tout ce qu’il possédait à Harlem et qu’il fut sur le point de se sauver à Lubeck ; il n’alla pas plus loin qu’Amsterdam et il y recouvra toute sa gaîté. La Hollande a changé d’humeur, son imagination s’est assombrie, sa palette a pris le deuil.

Les Pays-Bas possèdent aujourd’hui un peintre de genre et un paysagiste qui sont l’un et l’autre des artistes d’un rare mérite et qui se ressemblent par leur facture comme par la profonde mélancolie de leurs inspirations. Ce sont deux talens frères, amis de la brume et de la nuit. Soit que M. Israëls représente les pauvres d’un village attroupés autour d’un bateau de pêche et mendiant du poisson, soit qu’il nous fasse assister à un repas de savetiers ou qu’il nous montre une mère qui, sa poêle à la main, s’apprête à faire des crêpes pour célébrer un anniversaire, sa peinture est toujours sombre et toujours lourdement empâtée ; la lumière en est absente, la joie aussi ; en vérité, si M. Israëls a raison, nous devons croire qu’il n’y a dans ce monde ni soleil ni une seule occasion de rire. Les personnages qu’il met en scène ressemblent à des ombres échappées des limbes, où elles ne tarderont pas à s’engloutir de nouveau. Et cependant regardez-y de près, vous découvrirez que ces ombres sont bien dessinées, bien bâties, qu’elles ont du corps, et que si la main qui les a évoquées n’a pas hérité des grâces de l’antique Hollande, elle en a la solidité. Le tableau le plus remarquable que M. Israëls ait exposé au Champ de Mars est intitulé