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reçues. C’est ce que pense encore aujourd’hui le Napolitain, et l’on sait que, si le saint dans lequel il a mis sa confiance ne le protège pas comme il le souhaite, il lui parle sans ménagement, et se croit autorisé à l’accabler de menaces et d’injures. N’est-il pas étrange de voir les mêmes usages et les mêmes croyances se conserver sans interruption dans les mêmes pays ? Ainsi se continue l’humanité plus fidèle qu’on ne croit, surtout dans les classes populaires, aux anciennes habitudes et aux premières opinions, et gardant obstinément, sous les dehors qui se modifient, ce fond qui ne change pas. C’est une étude curieuse que de constater cette incroyable persistance à travers les révolutions et les âges, et de montrer ce qui reste toujours de l’homme ancien dans le nouveau.

Les derniers poèmes de saint Paulin présentent pour nous un intérêt triste et touchant. On y suit le contre-coup des graves événemens qui amenèrent la chute de l’empire. Jusque-là rien n’avait troublé la sérénité du pieux poète. On ne saisissait pas dans ses vers la moindre allusion aux affaires politiques : saint Félix les remplissait tout entiers. On dirait à les lire qu’en quittant le monde Paulin s’était promis de se désintéresser de toutes les préoccupations mondaines, de né songer jamais ni à la paix ni à la guerre, ni aux victoires ni aux défaites des légions, ni aux intrigues de cour, ni aux ministres qui se remplacent, ni aux empereurs qui se succèdent. Mais il lui devint difficile de persister dans son indifférence quand le danger se rapprocha et que ces bruits de guerre qu’il ne voulait pas écouter se firent entendre à côté de lui.

En 400, il venait d’embellir de magnifiques constructions le tombeau de saint Félix. Autour de la vieille basilique habilement rajeunie s’élevaient des églises nouvelles, des portiques richement décorés avec des logemens pour les pèlerins et des asiles pour les pauvres. Il jouissait avec fierté de son œuvre, quand arrivèrent de tous côtés des nouvelles sinistres : Alaric avec une armée de Goths était en marche vers l’Italie. Cette fois la fête de saint Félix trouve Paulin soucieux et ne parvient pas tout à fait à dissiper ses alarmes. « Le voilà revenu, dit-il, le jour illustré par le nom de Félix. Ce serait le moment d’éclater en chants joyeux, si les malheurs publics permettaient de se livrer entièrement à la joie. N’importe ; au milieu même des batailles, que ce jour soit pour nous un jour de paix et d’allégresse, et, quoique l’horrible guerre frémisse au loin, que rien ne trouble la tranquille liberté de nos âmes ! » Mais il n’est pas aisé d’être tranquille quand on sait qu’un grand danger nous menace. En vain Paulin essaie-t-il d’oublier qu’Alaric s’avance et que l’empire est en péril, tout le ramène à cette pensée. Chacun des récits qu’il fait et des souvenirs qu’il rappelle se termine par une prière :