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si ce qu’on donnait à certaines industries n’était pas enlevé par là même à d’autres plus sérieusement utiles ; s’il ne fallait pas combler ces vides par des taxes ; si ces taxes n’agissaient pas à leur tour comme un absorbant de ces salaires et de ces profits dont vivent les masses. Questions embarrassantes, qui mirent plus d’un gouvernement de mauvaise humeur. Elles ont fait accuser plus d’une fois ceux qui les posaient d’être des perturbateurs de la quiétude publique. Ils disputaient au peuple ses distractions les plus légitimes avec la part d’argent que les fêtes mettent, dit-on, dans sa poche. Aucune accusation n’est moins fondée pourtant. L’existence des fêtes publiques peut être défendue par des motifs que les économistes ne contestent pas. Les démocraties n’ont pas besoin qu’on les leur rappelle. Elles ont le goût des fêtes ; elles ne sont même que trop montré. Elles ont cédé à la même pente qui entraînait la royauté. Athènes en ce genre n’avait pas commis moins d’excès que Louis XIV. Florence par momens se montre aussi folle que tel Valois épris de la même passion.

Les fêtes sont un impôt. C’est un plaisir qu’on paie obligatoirement. Raison de plus de se montrer respectueux jusqu’au scrupule de la liberté des citoyens. Il y a là aussi des convenances morales et des règles économiques, qui, pour s’imposer aux régimes monarchiques, ne sont pas abrogées pour les administrations républicaines. Les fêtes les mieux motivées, les plus splendides, ne sauraient, par cela seul qu’elles font circuler l’argent et que quelques-uns en profitent, constituer ce qu’on peut appeler sous le rapport économique une affaire avantageuse et une branche de revenu. Quelque bonne volonté que l’on y mette, on ne peut considérer comme une richesse un feu d’artifice tiré même à bonne intention. Il y a mille choses qui profiteraient davantage. Il ne serait pas impossible que tel ouvrier trouvât lui-même qu’il vaut mieux accorder quelques francs de plus à ses besoins que les dépenser en réjouissances et en taxes à l’octroi, sans parler de l’argent dépensé inutilement, du temps perdu et mal employé, et des excitations qui survivent. L’histoire se charge de démontrer la vérité profonde du mot de Mazarin : Le peuple cante, il paiera. C’est justement là ce qui finit par diminuer un peu « le prestige » dont chaque gouvernement aime tant à parler. Le plus sûr « prestige » pour les républiques est l’économie qui épargne les deniers populaires, et les monarchies elles-mêmes auraient trouvé leur compte à s’en mieux souvenir.


HENRI BAUDRILLART.