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il ne se permettait que deux sortes de dépenses, mais il n’y épargnait guère, c’étaient la chasse pour laquelle il ne se refusait rien, et quelquefois les femmes auxquelles il donnait assez libéralement. On a vu les représentations théâtrales qui accompagnaient ces solennités ; il y en avait, disent les chroniqueurs, dans toutes les rues. En outre il y avait des tableaux vivans d’une complète nudité. Sous le nom de sirènes s’exhibaient des jeunes filles toutes nues, plongées dans l’eau jusqu’à la ceinture et choisies parmi les plus belles. Louis XI reçut leurs complimens, qui consistaient en pièces de poésie. On joue en 1468 à Lille, devant Charles le Téméraire, le Jugement de Paris. Les trois déesses y paraissent dans toute la simplicité de la tenue mythologique. Albert Dürer rapporte du voyage qu’il fit dans les Pays-Bas en 1520 le souvenir de choses semblables. « Le magistrat d’Anvers, écrit-il à son ami Melanchthon, avait arrangé, lors de l’entrée de Charles-Quint, sur son passage dans la rue, toute sorte de spectacles où figurèrent les plus belles et plus nobles demoiselles de la ville, presque toutes nues, sans chemise, couvertes seulement de robes de gaze très fine. » Le jeune empereur, très sérieux, ne regarda pas de leur côté, mais Durer avoue que, pour lui, en sa qualité de peintre, il ne se fit pas faute de les contempler. Ces sortes d’exhibitions ne sont pas seulement, on le voit, les accessoires fréquens des fêtes en France ; on les retrouve aussi à l’étranger.

Un autre accessoire grossier, ce sont les largesses faites au peuple. On jetait quelque menue monnaie qu’il se disputait dans la boue. On y jeta longtemps aussi quelque victuaille sur laquelle on se précipitait d’une façon bestiale. Nos secours à domicile valent mieux. Ils ménagent du moins la dignité humaine. Alors, c’étaient aussi, des bombances, d’interminables ripailles. La féodalité les avait déjà vues dans leur plein développement. Le peuple avait l’habitude et la passion de ces sortes de réjouissances fort à la mode dans les corporations et les confréries. Ces repas populaires, véritablement pantagruéliques, étaient usités dans tous les pays, et on n’a pas l’idée des folles excentricités qui se produisirent en ce genre. Ce n’est plus même au moyen âge, c’est en 1601 qu’on voit les bouchers de Kœnigsberg imaginer de fabriquer une andouille de 1,005 aunes, et les boulangers, qui la mangent avec eux de compagnie, fournir des pains de 5 aunes pour la même circonstance. La France est loin d’avoir le monopole de ces extravagances. S’il était possible de l’exonérer de cette sorte d’excès en montrant que d’autres firent encore pis, je citerais ce qui fut fait au palais de Westminster pour le couronnement d’Edouard Ier en 1273. Tout l’espace de terrain libre dans l’enclos du palais de Westminster fut entièrement