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impérial. La Russie doit maintenant aviser au moyen de solder les frais de ses coûteuses victoires. Le trésor ne peut longtemps se passer de ressources nouvelles, et il est probable qu’avant de procéder à leur réforme fiscale les villes attendront que l’état ait procédé à la sienne, qui est plus urgente et plus difficile encore.

C’est aux municipalités à choisir entre les différentes taxes mises à l’étude, puisque les villes comme les provinces sont en possession d’une faculté dont ne jouit pas encore la nation, celle de se taxer elles-mêmes. C’est là un droit dont les municipalités les plus importantes devront largement user. Dans les villes, une réforme fiscale peut avoir un double avantage, car, en accroissant le nombre des contribuables, elle pourrait indirectement entraîner une réforme électorale et ouvrir l’accès des urnes aux classes les plus éclairées, à ce qu’en d’autres pays on nomme les capacités. Ce n’est en tout cas qu’en se procurant de plus amples ressources que les municipalités russes sauront maintenir leur rang et justifier leurs titres de cités modernes. Alors seulement les villes pourront entreprendre ou mettre à exécution ce qu’on pourrait appeler les améliorations nécessaires, pour leur assainissement, pour leur voirie publique, pour l’instruction populaire surtout. Déjà plusieurs villes, usant d’une prérogative qui nous paraîtrait peut-être excessive, ont adopté le principe de l’enseignement obligatoire. Aux municipalités comme aux états provinciaux, le gouvernement ne conteste pas en effet le droit de voter des mesures de ce genre[1]. Il est vrai que, pour mettre de telles résolutions en pratique, les villes comme les zemstvos semblent trop dépourvus de moyens coercitifs, à moins que les fonctionnaires ou les tribunaux ne consentent à leur venir en aide. En tout cas, pour faire passer l’instruction obligatoire du domaine de la théorie dans celui de la réalité, les ressources pécuniaires ont jusqu’ici fait défaut aux villes comme aux provinces.

La loi municipale a vu le jour à une époque de désenchantement, où la plupart des Russes étaient déjà revenus des orgueilleuses espérances suscitées par les premières réformes de l’empereur Alexandre II. Quoique l’opinion eût moins d’exigences vis-à-vis d’elles, les institutions municipales ont encore moins que les états provinciaux répondu à l’attente du public. D’où est venue cette nouvelle déception ? D’où vient cette atonie, cette langueur, cette apathie parfois si justement reprochées aux doumas urbaines ? Est-ce de la loi ou du peuple ? Est-ce de l’incapacité des Russes à se servir des libertés régulières et à se gouverner eux-mêmes ? Les défauts reprochés aux nouvelles municipalités proviennent en partie

  1. On doit remarquer à ce sujet que le principe de l’obligation de l’enseignement peut aisément être tiré du code russe, qui est plus explicite que le nôtre sur les devoirs des pères de famille vis-à-vis de leurs enfans. Voyez à cet égard M. Lioubanski, Jouriditcheskia Monografii, t. III.