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ressources. À l’exemple de leurs émules d’Occident, les grandes cités russes ont voulu avoir des monumens publics, et le premier soin de la plupart des doumas a été de se construire un vaste et somptueux hôtel de ville. De là des dépenses exagérées et des mécomptes, de là des déficits, que les édiles ont d’abord masqués à l’aide d’expédiens de comptabilité et qu’ils ont ensuite comblés en mettant en vente les terres ou les immeubles des villes. C’est ainsi que Kief, Kazan, Saratof, Odessa, les municipalités les plus riches de l’empire, sont tombées dans l’embarras ou la détresse en voulant rivaliser avec les villes d’Allemagne, de France et d’Italie, et, elles aussi, faire grand[1]. Odessa, la troisième ville de l’empire, la métropole du sud, a dans ces dernières années offert un spectacle particulièrement affligeant. Le déficit annuel a été de 200,000 ou 300,000 roubles. Après avoir contracté une dette de près de 5 millions de roubles, la municipalité s’est vue contrainte d’interrompre la plupart des grands travaux d’embellissement ou d’assainissement qu’elle avait entrepris, pavage, éclairage au gaz, canalisation, conduite d’eau, etc. Pour faire face aux dépenses urgentes et aux exigences de chaque jour, la douma en détresse a dû solliciter du gouvernement des avances sur un emprunt qui n’était pas encore placé. Plusieurs millions de roubles avaient déjà ainsi été absorbés avant que la nouvelle guerre d’Orient vînt fermer le port d’Odessa et tarir les sources habituelles du revenu de ses habitans[2].

Si, grâce à sa position géographique et au mauvais état de ses finances, Odessa a particulièrement souffert de la guerre, la capitale de la nouvelle Russie est loin d’en avoir souffert seule. Tous les ports de commerce de la mer Noire et de la mer d’Azof, Nikolaïef, Kherson, Sébastopol, Taganrog, Rostof, ont été presque au même degré atteints du même mal, et les villes de l’intérieur en ont ressenti le lointain contre-coup. Aux municipalités en effet comme aux zemstvos, la loi militaire impose des charges non prévues par leur budget. La mobilisation des troupes retombe en partie sur les villes, ainsi que les secours à donner aux familles des soldats absens, aux femmes et aux enfans des morts et des blessés. À ces dépenses prévues, les démonstrations patriotiques des doumas et des zemstvos en ont ajouté de surcroît ; sur le signal donné par le tsarévitch, les municipalités se sont, comme les états provinciaux, empressées de souscrire pour la flotte volontaire qu’en

  1. A Kief, par exemple, les dépenses pour l’année 1877 étaient estimées à 712,000 roubles et les recettes évaluées à 637,000. Il est à regretter que, dans un récent tableau de la situation financière des principales villes de l’Europe, un statisticien hongrois, M. Körösi, ait laissé entièrement de côté la Russie.
  2. Plusieurs années de mauvaises récoltes dans la Russie méridionale et l’ouverture au commerce des grains de nouveaux débouchés sur la mer Noire et la mer Baltique avaient déjà singulièrement affecté la prospérité longtemps croissante d’Odessa.