Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/824

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus d’ampleur et plus d’écho qu’en des contrées plus largement dotées de libertés ; aussi a-t-on vu des hommes tels que le défunt Jouri Samarine se faire une véritable réputation d’orateur dans l’étroite enceinte de la douma ou du zemstvo de Moscou. Par malheur, le temps et les déceptions ont déjà singulièrement refroidi la curiosité et l’intérêt du public pour des institutions qui, par la faute de la loi ou par la faute des hommes, sont loin d’avoir répondu aux espérances des premiers jours.

Le nombre des membres du conseil (glassnye)[1] dépend du nombre des électeurs municipaux. Pour les villes qui comptent moins de 300 électeurs, la douma n’est composée que de 30 membres, 10 pour chacun des trois collèges. C’est là le minimum. Les contribuables ayant droit au titre d’électeurs sont-ils plus nombreux, le conseil reçoit six membres de plus par 150 électeurs, jusqu’à ce qu’on arrive au chiffre de 72, qui est le maximum. Dans beaucoup de chefs-lieux de gouvernement, la douma atteint ce maximum légal. Les villes de 30 ou 40,000 habitans possèdent ainsi un conseil presque aussi nombreux que le conseil municipal de Paris. Certains esprits trouvent cependant ce chiffre de 72 trop bas, et il est dépassé dans les trois plus grandes villes de l’empire, à Saint-Pétersbourg, à Moscou, à Odessa, qui, à quelques égards, demeurent en possession d’institutions particulières. Si la douma d’Odessa ne compte encore que 75 membres, la douma de Moscou en possède 180 et celle de Saint-Pétersbourg 252, soit plus de trois fois plus que le conseil de Paris.

Une disposition accessoire de la loi municipale décide que dans aucun conseil les conseillers non chrétiens ne peuvent excéder le tiers des membres. Cette regrettable restriction, qui nous semble une atteinte à la liberté ou du moins à l’égalité religieuse, est dirigée contre les juifs de l’ouest, et contre les Tatars musulmans de l’est. Juifs et musulmans forment en effet dans plus d’une ville la portion la plus nombreuse ou la plus riche de la population. Ces communautés non chrétiennes sont d’ordinaire fort bien organisées et animées d’un esprit de corps qui se rencontre rarement en dehors d’elles. Comme de plus juifs et Tatars s’adonnent surtout au commerce, la loi a cru devoir prendre contre eux d’autant plus de précautions qu’elle remet en somme la direction des affaires aux marchands. Il est juste de le reconnaître, en Russie comme en Roumanie, ces communautés, israélites ou musulmanes, qui forment encore une classe, une caste et comme un peuple à part au milieu de la population environnante, ont des mœurs et des intérêts si

  1. Ce terme, dérivé du mot golos, glas, voix, désigne en Russie tous les hommes ayant voix dans une assemblée élective, et s’applique aux membres des doumas aussi bien qu’aux membres des zemstvos.