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Cette division des électeurs en trois groupes aboutit ainsi à une sorte de vote gradué selon le chiffre des impositions et selon la fortune. La Russie a emprunté ce système électoral à la Prusse, où il est en usage pour les élections législatives, et la Prusse, en l’adoptant, s’était souvenue des vieilles centuries romaines. Ce mode ingénieux de représentation proportionnelle désintérêts a partout des partisans ; chez nous même, il avait été préconisé dans les commissions de l’ancienne assemblée nationale comme le meilleur moyens de limiter la souveraineté du nombre, tout en permettant de laisser à chaque citoyen un bulletin de vote. En France, après une longue pratique du suffrage universel, toute tentative de diviser ainsi les électeurs en plusieurs groupes superposés se heurterait au sentiment le plus vif, le plus ombrageux du pays, l’égalité[1]. En Russie même, où la classification hiérarchique a pour elle l’ancienneté et la coutume, l’opinion publique a été peu favorable à un tel mode de répartition. La presse a fait remarquer qu’au moyen de ces trois catégories le statut municipal rétablissait indirectement les distinctions de classe qu’il supprimait officiellement, et livrait les villes aux mêmes influences que l’ancienne loi. Toute la différence est qu’au lieu d’être classés selon leur origine ou leur profession, les électeurs sont classés selon leur fortune ; mais cette innovation même n’a pas trouvé bon accueil auprès du sentiment public. On reproche à ces catégories censitaires d’introduire dans la vie russe un principe nouveau, sans précédent dans l’histoire nationale, sans raison d’être dans les conditions économiques ou politiques du pays. On accuse même cette précaution conservatrice de tourner parfois contre le but du législateur en isolant les hautes influences sociales et en abandonnant à elles-mêmes les classes les moins cultivées et les moins intéressées à l’ordre. Aux yeux de certains publicistes, un tel système, s’il devait triompher et recevoir de nouvelles applications, constituerait pour l’avenir de l’empire un sérieux danger, il en pourrait un jour sortir une latte de classes, une lutte du capital et du travail[2].

De même que pour les états provinciaux, chaque catégorie d’électeurs municipaux se réunit en assemblée électorale, qui procède aux élections en séance, sous la présidence du maire. D’ordinaire, le zèle des électeurs n’est pas grand, et va en diminuant du premier au

  1. C’est la raison pour laquelle toutes les propositions de ce genre avaient été repoussées dans les commissions de l’assemblée nationale, malgré leur désir de réformer notre système électoral. « Classer les habitans d’une même ville en catégories d’après leurs richesses, faire siéger dans les mêmes conseils les élus de quelques citoyens opulens et les élus du grand nombre a semblé dépasser ce que nos mœurs comportent. » Ainsi s’exprimait M. Batbie dans un rapport déposé le 21 mai 1874.
  2. Voyez en particulier M. Golovatchef : Deciat lét reform, p. 228, 229.