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à aimer le Christ, » ce qui paraît indiquer que ce spectacle avait été sa première émotion religieuse. Aussi lorsqu’après quelque temps donné à la vie mondaine et aux affaires politiques, la dévotion se ranima en lui, il lui sembla que c’était le souvenir de ses jeunes années qui se réveillait, et il attribua naturellement à saint Félix les sentimens nouveaux qu’il éprouvait. Dès lors il n’a plus qu’un désir : il veut aller se fixer au lieu même où saint Félix a vécu, et mourir près du tombeau qui contient ses restes. Il lui demande humblement la permission « de garder l’entrée de son temple, d’en balayer le seuil tous les matins, de veiller la nuit pour en écarter les malfaiteurs, et de passer le reste de ses jours dans ces pieux devoirs. » Voilà le rêve de ce sénateur et de ce consulaire ! Il partit enfin de l’Espagne, accompagné de quelques serviteurs, avec Thérasia, et quand il fut arrivé à Nole, près de cette basilique qu’il ne voulait plus abandonner, sa joie éclata en remerciemens à saint Félix : « Sois bon et favorable à tous ceux qui te prient[1] ! Après avoir bravé les flots de la mer et les flots du monde, je viens chercher près de toi un port tranquille. Ici j’ai remisé ma barque et je l’ai attachée à ton rivage : puisse l’ancre de ma vie y être à jamais fixée ! »

Ce souhait fut accompli ; saint Paulin ne devait plus quitter Nole. Il y séjourna trente-cinq ans, ne s’éloignant jamais qu’une fois par année, pour aller à Rome prier au tombeau de saint Pierre et de saint Paul, le jour de leur fête. Tout le reste du temps il le passait dans une maison modeste qu’il s’était construite auprès de son saint protecteur. C’était une sorte de monastère où il vivait avec quelques amis dans la prière et la pénitence. On n’y faisait pas de vœux, et l’on n’y obéissait pas à une règle précise et rigoureuse : la vie monastique n’avait pas été encore régulièrement constituée dans l’Occident comme elle le fut plus tard ; mais on y pratiquait déjà volontairement les austérités qui furent ensuite ordonnées dans les cloîtres. On y jeûnait une grande partie de l’année, et souvent le premier repas était retardé jusqu’aux heures du soir. On s’abstenait de viande et de vin, on s’habillait et on vivait comme les plus pauvres. Au milieu de cette vie pénible qu’il s’était imposée, Paulin se trouvait heureux. La joie la plus vive et la plus sincère éclate dans tous ses vers ; il y est épris de la pauvreté, comme tant d’autres le sont de la richesse : « Pauvreté chérie, plus

  1. Sis bonus o felix que tuis ! Ce souvenir de Virgile contient de plus un jeu de mots par le nom de saint Félix. Paulin y est revenu plus d’une fois, par exemple dans ce vers, où il félicite Nole d’avoir un tel protecteur :
    O felix Felice tuo tibi præsule Nola !
    C’est ainsi que le bel esprit se montre jusqu’au milieu des ardeurs de la dévotion.