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l’air de parfums étrangers ! » Ces divertissemens ne conviennent pas à une noce chrétienne. Il les remplace par un sermon qui nous semble quelquefois plus édifiant qu’agréable. On y retrouve pourtant l’homme du monde dans quelques descriptions piquantes de la toiletté des femmes, quand il conseille à la jeune épouse de ne pas se parer de robes brodées d’or et de pourpre, d’éviter de se mettre du fard aux joues et un cercle noir autour des yeux, de ne pas altérer la couleur naturelle de sa chevelure, condamnant ainsi en elle-même l’œuvre du créateur. « On ne vous verra pas, lui dit-il, traîner par les chemins vos vêtemens parfumés, afin d’être suivie à l’odorat partout où vous passerez, ou relever vos cheveux habilement réunis, pour édifier comme une tour sur votre tête. »

Dans l’autre poème, qui était moins difficile et qui est aussi beaucoup mieux fait, saint Paulin essaie de consoler des parens qui viennent de perdre leur fils. Dès le début, le sentiment chrétien s’exprime avec une sincérité et une élévation qui nous touchent : « Que dois-je faire ? se demande le poète ; ma piété hésite et se trouble. Faut-il le féliciter ou le plaindre ? son sort est digne à la fois de tristesse et d’envie. L’amour que j’avais pour lui me tire des larmes des yeux, et le même amour me pousse à me réjouir. Je le pleure d’avoir été si vite arraché à l’affection des siens ; mais quand je songe à la vie qui ne finit pas, aux récompenses que Dieu prépare pour les innocens, je le félicite d’avoir si peu vécu et de jouir sitôt du bonheur céleste… Dieu ne l’a pas fait attendre. Du haut du ciel, le Christ a rappelé à lui cette âme qu’il aimait, et il l’a subitement enlevée à la terre pour qu’elle fût plus digne de vivre dans l’assemblée des bienheureux. » Comme il arrive toujours à saint Paulin, le milieu du poème languit ; une fois entré dans les exhortations morales et les souvenirs des livres saints, il ne sait plus s’arrêter ; mais la fin redevient très touchante. A propos de cet enfant qui vient de mourir, il se rappelle celui qu’il a lui-même perdu, il songe « à ce fils si désiré et que Dieu enleva si vite à des parens qui ne méritaient pas d’avoir une postérité pieuse. « Il imagine que les deux enfans se retrouveront dans le ciel et se reconnaîtront sans s’être jamais vus. « Vivez ensemble, leur dit-il, vous qui êtes frères, vivez amis dans l’éternité ! Couple heureux, habitez tous deux les lieux fortunés. Enfans, égaux par votre innocence et puissans par votre piété, que vos chastes supplications effacent les péchés de vos pères ! » Il me semble qu’on peut dire, après avoir lu ces vers touchans, que l’élégie chrétienne est trouvée.

M. Lagrange a fait très bien ressortir, par des citations et des analyses, les qualités poétiques de saint Paulin ; peut-être même est-il tenté quelquefois de les exagérer. On prend dans son livre l’opinion que saint Paulin était le premier poète chrétien de cette