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III. — BERGERET LUI-MÊME.

Vers midi, on entendit le bruit des tambours ; c’était le général Bergeret qui venait se réfugier au palais des Tuileries après avoir abandonné quarante heures trop tôt son quartier du Corps législatif, où il avait laissé, en souvenir de son passage, de nombreuses pièces d’argenterie marquées d’un V, plusieurs couverts aux armes de la ville de Paris, quatre croix neuves d’officier de la Légion d’honneur, quarante-sept croix neuves de chevalier et cent soixante-douze médailles militaires neuves[1]. Il fuyait son poste de combat, où les troupes françaises ne devaient cependant se présenter que dans la matinée du mercredi 24 mai, et il venait s’installer aux Tuileries à la tête de son petit corps d’armée composé du 229e, du 174e bataillons et du 2e zouaves fédérés. Il était accompagné par le membre de la commune Urbain, maître d’école rabougri, sans élèves, mais non sans imagination, qui dans la séance du 17 mai, à l’Hôtel de Ville, avait demandé que dix otages fussent immédiatement fusillés, cinq dans Paris et cinq aux avant-postes. Sans doute c’est pour l’aider de ses conseils qu’il était aux côtés de Bergeret. Celui-ci monta par l’escalier d’honneur et s’installa dans les anciens appartemens de l’impératrice ; il y baugea avec lui une donzelle qui était attachée à sa personne ou à celles de son état-major. Là, il attendit vigoureusement que l’on vînt l’attaquer pour s’en aller.

Bergeret est une des illustrations de la commune ; les Plutarques de la révolte à tout prix qui écriront plus tard la vie des grands capitaines dont Paris a supporté l’abjection pendant deux mois lui réserveront certainement leurs meilleurs pages. Il eut cette chance d’être toujours battu et immédiatement ridicule. Ses aptitudes naturelles le rendaient fort médiocre, son éducation de tabagie, de clubs, de conciliabules secrets l’avait fait odieux. C’est lui qui commandait place Vendôme lorsque la manifestation imprudemment pacifique du 22 mars y fut reçue à coups de fusil sur l’ordre de Du Bisson ; c’est lui qui, le 2 avril, dirigeait l’armée communarde aux avant-postes devant Neuilly ; c’est là qu’il eut deux chevaux tués au fiacre qui le conduisait à la déroute, car, par suite d’infirmités ou d’incapacité, il ne pouvait se tenir à cheval. C’est de Neuilly que fut expédiée cette dépêche fameuse qui lui a conféré instantanément une célébrité que le temps respectera, dépêche par laquelle on annonçait urbi et orbi que lui, Bergeret, Bergeret lui-même était sur le terrain du combat ; c’est à cela que se borna toute son action. Petit, maigrelet, bilieux, le regard flottant et terne, les yeux

  1. Ces objets furent restitués plus tard aux légitimes propriétaires par les soins de M. Garreaud, délégué de la questure au Corps législatif.