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Dardelle. Sa conduite ne fut pas nette pendant la durée de l’insurrection. Qui servait-il, la fronde ou Mazarin ? On ne le sut jamais positivement ; tous deux à la fois peut-être, comme tant d’autres qui tâchèrent, sans y bien réussir, de se tenir en équilibre entre Versailles et l’Hôtel de Ville. Antoine Wernert était assez brutal avec les agens du service régulier ; on ne s’en plaignait pas trop, car on croyait que sa sévérité, parfois excessive, n’était qu’un jeu destiné à couvrir des manœuvres réactionnaires ; plus tard on fut détrompé, ou l’on se trompa, car dix ans de travaux forcés frappèrent ce régisseur à double face. Près de lui et au-dessus de lui, je trouve encore le gouverneur en second des Tuileries, Jean-Baptiste Martin, colonel d’état-major[1], qui eut un rôle très effacé, et n’accentua son action que pendant les derniers jours de la lutte. De tous les personnages qui gravitaient autour du citoyen Dardelle, son planton, Minot, était celui que l’on redoutait le plus. Il était assez obtus, se donnait beaucoup d’importance, faisait du zèle à tort et à travers, se croyait républicain sans savoir ce qu’était la république, se disait communard sans se douter de ce que pouvait être là commune, était toujours très affairé et s’imaginait que la liberté proclamée lui donnait le droit de tout oser ; il le prouva en arrêtant et en faisant incarcérer M. Schœlcher, qu’une curiosité intempestive avait entraîné à venir entendre aux Tuileries un des concerts extravagans inventés par le docteur Rousselle. Ce Minot ne mériterait guère que l’on parlât de lui, si le 22 mai il n’avait eu sa part dans une tragédie que nous aurons à raconter.

Tous ces gens, grands et petits, colonels et capitaines, gouverneurs et plantons, s’étaient installés aux Tuileries, non point dans le palais proprement dit, mais dans la grande aile voisine de l’ex-ministère de la maison de l’empereur, et qui prend son point d’attache au pavillon Marsan. Ils occupaient en partie les anciens appartemens du duc de Bassano et les bureaux réservés à la régie normale du château. Ils entraient indifféremment chez eux par la cour ou par la rue de Rivoli. Des bataillons ou seulement parfois des compagnies occupaient les postes et gardaient un parc d’artillerie qui s’étalait dans la cour, derrière les grilles fermées du Carrousel. Selon les besoins de la révolte, ce parc était plus ou moins bien fourni ; un état de situation en date du 20 mai indique dix canons de 7, six canons de 8, un obusier de 16 et sept forges de campagne. Le capitaine d’artillerie directeur et le capitaine

  1. Il y a plus d’un âne à la commune qui s’appelle Martin ; indépendamment du colonel (travaux forcés perpétuels), je rencontre un Martin (prénom ignoré), attaché à la sûreté générale ; Constant Martin, secrétaire général à la délégation de l’enseignement ; Amable-François Martin, major de place à Vincennes (déportation simple), et Ernest-Émile Martin, major de place à la 7e légion (ordonnance de non-lieu).