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garde la forme. Ces principes non-seulement Paulin les proclame, mais aussitôt il les applique. Abandonnant la prose, qui n’est plus capable d’exprimer l’ardeur dont son âme est pleine, il donne ses derniers conseils à son ami dans les vers les plus énergiques peut-être qu’il ait écrits, et où les souvenirs de Virgile se mêlent à chaque pas aux idées chrétiennes. « Allons, lui dit-il, prépare ta lyre, excite ton âme inspirée, forme de plus vastes desseins. Laisse là les sujets ordinaires de tes chants : une plus grande entreprise te réclame. Cesse de chanter le jugement de Paris, ou la guerre des géans. Ces jeux d’enfans convenaient à ta jeunesse ; maintenant que le progrès des années a mûri ton esprit, méprise ces muses légères. » Et il termine en lui disant : « O toi, dont l’âme généreuse brûle d’un feu divin, élève ton esprit jusqu’aux demeures célestes, et pose ta tête sur les genoux du Seigneur. Bientôt le Christ laissera approcher tes lèvres ardentes de ses mamelles pleines d’un lait sacré ; alors je t’appellerai véritablement un poète divin, et je puiserai à tes chants comme à une source d’eau qui rafraîchit. »

Telle est la poétique de saint Paulin, qui pourrait se résumer par le vers si connu d’André Chénier :

Sur des pensers nouveaux, faisons des vers antiques.


Cette poétique est irréprochable, mais il faut avouer que saint Paulin ne l’a pas toujours appliquée avec le même succès. Entraîné par son zèle, il a quelquefois entrepris de traiter des sujets qui dépassaient ses forces. Quand il met en vers les terribles histoires de la Bible, il a grand’peine à les reproduire avec toute leur énergie. Dans son poème sur saint Jean, il a mal saisi et faiblement rendu la rude figure du Précurseur. Il égaie ce sujet austère par quelques traits de bel esprit où l’on reconnaît l’ancien rhéteur ; il n’ose pas dire qu’au désert saint Jean se nourrissait de sauterelles, et les remplace « par des fruits et des herbes nés sur les rochers sauvages. » Il a essayé aussi de traduire quelques psaumes ; je ne parlerais pas de cette traduction, où la poésie de l’original est presque partout supprimée, si Paulin n’y avait introduit des changemens où son caractère se manifeste d’une manière curieuse. Les psaumes, comme on sait, contiennent souvent des menaces effroyables contre les ennemis de Dieu ; malgré sa foi robuste, Paulin a quelque peine à n’être pas blessé de cette dureté ; il l’efface ou l’adoucit. Au lieu de menacer sans pitié le coupable de la mort et de la damnation éternelle, il éprouve le besoin de le rassurer et lui annonce « que, s’il n’a été vaincu que par la chair et qu’il soit resté fidèle par l’esprit, quoiqu’il n’ait pas respecté toutes les prescriptions de la loi et qu’il se soit souillé de quelques fautes, pourvu qu’il ait conservé sa foi de chrétien, il ne sera pas exclu du