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orchestres de l’Europe ; dédaigneuses ou non, ces abstentions-là finissent toujours par nuire à qui affecte de les pratiquer. Nous préservent les dieux immortels de méconnaître un seul instant la supériorité proverbiale de notre orchestre du Conservatoire, c’est au contraire parce que cette gloire nationale nous est chère que nous aurions voulu la voir mise à l’abri de la médisance. Car en définitive tout le monde n’a pas les mêmes raisons que nous autres Français de s’incliner devant ce principat. C’était le cas ou jamais de le faire consacrer, et de très haut, par l’Europe entière. Mais pour cela il eût fallu accepter courtoisement la lutte que les autres nous offraient et venir au combat avec des armes qui fussent égales. Est-ce donc là ce qui se passe ? L’état construit une immense salle spécialement destinée à ces concours internationaux, et, tandis que les artistes étrangers s’empressent de répondre à son appel, les nôtres, — et les meilleurs d’entre les nôtres, — restent chez eux et s’y claquemurent au risque de faire dire qu’ils redoutent les changemens d’atmosphère, comme si les violons et les trombones couraient risque de s’enrhumer en passant de la serre chaude de la rue Bergère au grand air du Champ de Mars. Admettons que l’acoustique de cette vaste nef du Trocadéro ne soit point sans reproche : pourquoi l’orchestre du Conservatoire ne se soumettrait-il pas à des conditions que les orchestres de Milan et de Turin, affrontaient hier, que ceux de Londres ou de Vienne affronteront peut-être demain ? pourquoi se ménager ainsi tous les bénéfices et se calfeutrer ainsi dans son home, s’y dorloter, en laissant les autres essuyer les plâtres ? Est-ce de bonne guerre cela, est-ce simplement de l’hospitalité ? Ce que vaut l’orchestre du Conservatoire quand il joue Beethoven devant son public émérite de la rue Bergère, nous le savons depuis trente ans : l’occasion n’était-elle pas venue pour lui de s’espacer enfin, de s’aérer, de montrer aux hérétiques, s’il en existe, que tous les répertoires sont à sa convenance, comme toutes les salles, et que, quel que soit le terrain où ses rivaux l’attirent,

Qu’on le défie en grec, prose, vers ou latin,


il est prêt à ramasser le gant sur place, ne redoutant rien, ni des dispositions d’une assemblée plus nombreuse et moins favorablement prévenue, ni des conditions plus ou moins ingrates du local. On connaît le mot d’Auber sur Félicien David au milieu de l’enthousiasme provoqué par la symphonie du Désert : « Attendons qu’il descende de son chameau. » Peut-être bien le monde s’attendait-il aussi à voir l’orchestre du Conservatoire saisir cet à-propos de l’exposition pour sortir de son stradivarius, et pendant quelques jours se mêler au train de la vie commune, faire à l’exemple des orchestres de Milan et de Turin, et tout bonnement, tout