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oublient cependant à chaque instant. Ne puis-je pas manquer à ce que vous nommez les devoirs envers Dieu, aux devoirs envers moi-même, aux devoirs de pure charité envers autrui, sans manquer pour cela aux règles strictes de la justice égale pour tous et également exigible chez tous ? ne puis-je pas être en dehors de mon devoir, surtout de mon devoir religieux, sans être en dehors de mon droit et sans blesser votre droit égal au mien ? Comment se fait-il que nos codes renferment encore soit des privilèges, soit des prescriptions fondées sur de simples croyances religieuses ou morales, telles que celles qui concernent l’observation du dimanche, l’indissolubilité du mariage, l’inscription religieuse imposée même aux libres penseurs, et d’autres encore ?

Au point de vue du droit pur, la liberté extérieure est respectable tant qu’elle ne supprime pas l’égale liberté d’autrui, et la liberté intérieure est absolument respectable, sans condition et sans réserve : telle est la conclusion générale à laquelle on aboutit quand on a examiné les systèmes qui veulent rabaisser la liberté au rang d’un simple moyen pour ériger en une fin absolue leur idée du vrai, leur idée du juste, leur idée de la religion, en un mot leur conception du bien. La souveraineté du but est la négation du droit. La défiance des systèmes théocratiques à l’égard de l’égalité vient de ce rôle secondaire qu’ils prêtent à la liberté. La liberté, dans l’échelle des moyens et des fins, doit occuper le degré suprême : elle a sa valeur en soi. Un remède n’est qu’un moyen en vue de la santé et il peut être aussi un poison. Il emprunte donc toute sa valeur au résultat ; il ne subsiste pas dans la santé même, et au contraire doit disparaître dans la santé. Telle n’est pas la liberté dans son rapport avec le bien ; elle est à la fois à elle-même son moyen et sa fin : elle est moyen quand on la considère comme déjà commencée et en voie de développement, elle est fin quand on la considère comme développée et dans son achèvement idéal. La liberté encore imparfaite en nous ressemble à la flamme dont on se sert pour allumer un foyer de chaleur et de lumière : ce qu’on veut produire au moyen de cette flamme, ce n’est pas quelque chose qui en diffère réellement ; c’est une flamme plus grande dans laquelle l’autre subsistera tout entière ; de même ce que nous devons produire par le moyen de la liberté, ce n’est pas une chose qui soit différente d’elle-même, c’est une liberté plus grande, plus égale, plus universelle, c’est une liberté qui vivifie tout le monde moral et social.


III.

La distance n’est point aussi grande qu’on pourrait le croire entre la théocratie et l’aristocratie des savans ; à part la