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LA RELIGION DANS ARISTOPHANE.

piété était plus étroite et s’inquiétait moins des sentimens intimes de l’âme : c’était, pour les Grecs, comme plus tard pour les Romains, une forme de la justice ; c’était « la justice à l’égard des dieux, » ainsi que Cicéron la définit dans le premier livre du traité de la Nature des dieux, c’est-à-dire l’exactitude à leur rendre ce qui leur était dû, en particulier par les sacrifices traditionnels. Entre les dieux et les hommes, il y avait eu comme une convention originelle, un échange réglé d’hommages et de bienfaits, d’où dépendait la conservation des familles et des cités. De là le droit d’intervention de l’état. « Souvent toute une ville a porté la peine des crimes d’un homme ; » l’antique maxime d’Hésiode était encore dans la bouche d’Eschine un argument redoutable, contre lequel Démosthène croyait devoir déployer toute sa force. Le salut de l’état était intéressé à ce que la colère de la divinité, lésée dans ses droits, ne fît point payer à tous la faute d’un seul ; il pouvait donc sévir contre le citoyen qui manquait à un devoir religieux. Socrate était accusé de ne pas rendre aux dieux de la cité les hommages consacrés par la coutume. Un autre exemple nous fait pénétrer plus avant, et nous montre le lien qui rattachait l’idée grecque de la piété à une croyance cosmogonique, c’est-à-dire au fond même de la religion primitive : c’est celui d’Anaxagore. Quel était son crime, quand toute la puissance de Périclès le sauvait à grand’peine d’une condamnation capitale ? Il tombait sous le coup du décret de Diopithe contre les explications rationnelles des phénomènes célestes ; il substituait des causes physiques aux personnifications divines des forces naturelles : c’était chasser les dieux de leurs trônes, et, au grand péril de la cité, encourager la négligence de leur culte. Le type de la piété à cette époque, c’est Nicias, superstitieux et attentif observateur des prescriptions religieuses, dont le bonheur à la guerre est attribué à sa scrupuleuse et magnifique dévotion, et qui finit par perdre l’armée athénienne en Sicile par peur d’une éclipse.

L’intolérance religieuse a donc existé chez les Athéniens ; mais il faut ajouter à leur décharge qu’elle fut chez eux inconséquente et capricieuse : elle fit moins de mal, parce qu’elle n’existait point par sa propre force, comme un principe absolu de gouvernement ou comme un effet constant et régulier du fanatisme. Elle ne se produisait guère qu’à l’occasion d’une circonstance accidentelle ; plus d’une fois, dans le nombre de faits restreints qui est parvenu à notre connaissance, nous la voyons servir d’arme aux partis politiques dans les hasards de leurs luttes quotidiennes. Il n’y avait rien qui ressemblât au fonctionnement attentif d’une magistrature, chargée de veiller sur les intérêts religieux. Pour conclure sur