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liberté de l’esprit grec. Le mot : le prêtre vit de l’autel, était matériellement vrai en Grèce. Notre moyen âge, dont le souvenir ici encore se présente naturellement, s’en est permis bien d’autres sur les moines et même sur les papes.

Au sujet des devins, la question pourrait sembler plus grave, en ce sens qu’elle implique chez les Grecs un sentiment plus intime et plus profond. La croyance à des révélations de l’avenir, soit d’après des signes donnés par les entrailles des victimes sur l’autel, soit d’après des phénomènes extraordinaires où la superstition contemporaine reconnaissait une action divine, soit enfin d’après des oracles que révélait tout à coup quelque possesseur privilégié de recueils mystérieux, excitait en Grèce une curiosité ardente précisément à l’époque où fleurissait l’ancienne comédie. Cependant faut-il s’étonner pour cela qu’Aristophane n’ait pas mieux respecté cette foi si éveillée et si inquiète, et que ni les devins ni les oracles n’aient échappé à ses atteintes ? Quand Trygée sacrifie à la Paix enfin délivrée, l’odeur des victimes attire aussitôt le devin Hiéroclès avec ses préceptes et ses oracles, transformé en parasite effronté de sacrifices ; il s’en retourne bafoué et battu : est-ce donc qu’Aristophane en voulait aux devins ? Il est possible qu’il eût quelque grief personnel contre Hiéroclès, qu’Eupolis représente au contraire comme un honnête homme ; mais, quant aux devins en général et à leur art, le poète n’est que l’interprète du sentiment populaire. Crédulité et défiance, crainte et antipathie, telles sont dès l’origine les dispositions des Grecs à l’égard de ces hommes qui passent pour les dépositaires des secrets de la destinée. « Prophète de malheur, tu n’aimes qu’à prédire le mal, » disait déjà, dans Homère, Agamemnon à Calchas. Ce sont là des sentimens naturels ; les oracles sont ambigus, les prédictions incertaines, souvent démenties par l’événement quand elles ont été connues d’avance ; la crédulité est donc inquiète, d’autant plus qu’il lui est arrivé d’être exploitée. Onomacrite n’a-t-il pas été convaincu, au début des guerres médiques, d’avoir falsifié les oracles de Musée ? Après l’issue désastreuse de la guerre de Sicile, Thucydide constate l’irritation générale contre les collecteurs d’oracles, les devins et les prophètes de toute sorte qui avaient flatté l’ambition athénienne d’une fausse espérance. Par moment, la force de la réalité, le bon sens, la légèreté grecque atténuent les effets de la superstition. Et voilà comment Aristophane peut parodier impunément les oracles de Bacis, l’antique devin de Béotie, très en faveur pendant la guerre du Péloponèse. C’est ce qu’il fait en toute occasion.

« Lisez-moi cet oracle que j’aime tant, où il est dit que je serai un aigle au milieu des nuages, » dit à ses flatteurs le bonhomme Démos, le peuple personnifié. — C’était par cette image, en effet, qu’un