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LA RELIGION DANS ARISTOPHANE.

d’œuvres si éloignées de notre esprit et de nos mœurs. Au point de vue particulier de la religion, il resterait beaucoup à faire : il faudrait arriver à définir le rapport exact de cette ancienne comédie avec l’état de la société contemporaine, tout en y marquant avec précision le rôle de l’art, qui en a fait la valeur littéraire et assuré le succès. C’est à quoi on ne réussira jamais complètement.


I.

Il y a d’abord un fait dont la critique moderne s’est naturellement inquiétée. Cette comédie, religieuse à sa manière, qui fait partie de la fête d’un dieu, se permet avec la religion, avec les divinités, avec celle même à qui elle est consacrée, les libertés les plus étranges. Comment cela est-il possible ? quels sont les objets déterminés et les limites de cette licence ? Voilà des questions qui demandaient évidemment une réponse.

Ce qui explique les hardiesses irrévérencieuses d’Aristophane et des comiques de son temps, c’est l’esprit de la religion grecque et par suite une tradition depuis longtemps établie. Cette religion est tellement humaine que les dieux sont de vrais hommes qui conservent dans le ciel leurs caractères, leurs passions, leurs goûts, leurs plaisirs. Le Grec s’est divinisé, et si complètement qu’il n’a rien laissé de lui-même sur la terre. De là vient qu’en se considérant dans cette vie divine, qui n’est guère qu’une image de sa vie terrestre, il se reconnaît et garde sa liberté d’esprit. Sans doute, le divin renferme une part qui ne vient pas de lui. Il y vénère une force supérieure, qui, présidant aux phénomènes et aux vicissitudes régulières de la nature, enferme sa propre existence dans le cercle fatal du monde et des lois mystérieuses qui le régissent. Mais, tout en sentant ce joug, comme il le porte légèrement ! Comme il s’est dégagé de l’étreinte des sombres croyances de ses pères ! Comme il les a dépouillées de leur horreur primitive et les a transformées en les animant de sa libre activité ! À son tour, il a soumis le monde divin à toutes les formes de sa souple et riche imagination, en a fait la matière de ses inventions, y a composé des scènes pour son plaisir, fait retentir les éclats de sa propre gaîté. Qu’est-ce en effet que ce rire immense excité par la démarche de l’immortel boiteux, dans ses fonctions improvisées d’échanson des banquets olympiens ? Voilà le germe de la parodie religieuse, et cela dès l’origine de la religion, puisque c’est Homère qui l’a constituée. Entrés dans cette voie dès le début, les Grecs ne s’arrêteront pas ; ils iront jusqu’au grotesque dans la représentation familière

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