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LA RELIGION DANS ARISTOPHANE.

tion de notre liberté, d’autant plus vives et plus impétueuses, qu’elle sent peser plus lourdement sur elle la tyrannie de la destinée ou même seulement le joug d’une vie monotone. Les Grecs, constamment en proie aux guerres et aux révolutions, vivant sous la menace perpétuelle de la fortune, se livrèrent à ces divertissemens avec une ardeur effrénée ; mais ce qui les distingue des autres, c’est moins la vivacité de ces emportemens que le caractère religieux dont ils les revêtirent. En Grèce, il n’y avait pas de fête sans divinité. Ces fêtes de la folie eurent donc leur dieu, et il se trouva que sa nature y était merveilleusement appropriée : ce fut le dieu des vendanges et de l’ivresse.

Rappeler l’aspect le plus populaire de Dionysos ou Bacchus, c’est déjà expliquer la nature de ses fêtes. Pour achever de les faire comprendre, il faut rappeler aussi qu’il n’est pas seulement le dieu de la vigne, mais en général un dieu de la nature libre et sauvage, telle qu’elle apparaît, loin de la vie civilisée, dans les bois, dans les rochers, dans les vallées humides des montagnes. Cette nature, il la pénètre, l’anime, la transporte par sa puissance. À sa suite dansent et bondissent les êtres mythologiques qui en représentent les diverses énergies, la sève exubérante de la vie animale et de la vie végétale, le mouvement des eaux jaillissantes. Les satyres, les silènes, les nymphes, les naïades, couronnés du lierre immortel, tel est le fidèle cortège qui accompagne sa marche depuis l’époque encore grossière de son apparition en Grèce jusqu’aux siècles de civilisation raffinée. Avant le dithyrambe satirique du vieux poète Arion, ce cortège animait les fêtes champêtres, où les peaux de bouc, le feuillage et la lie faisaient tous les frais des déguisemens, et depuis il ne cessa de fournir la plus riche matière aux compositions de l’art et aux luxueuses sensualités du paganisme. On le retrouve à Éphèse dans cette somptueuse orgie imposée à toute une ville par un caprice du triumvir Antoine, comme auparavant à Alexandrie dans les froides magnificences par lesquelles, au commencement du iiie siècle, Ptolémée Philadelphe célébrait son avènement.

On ne l’a pas assez remarqué, la conception de Bacchus comme présidant à la vie de la nature est dominante à la naissance de la comédie. Ce fait est impliqué dans le témoignage, si souvent cité, d’Aristote, où nous apprenons qu’elle commença dans les chants phalliques, c’est-à-dire qui accompagnaient la procession du phallus, symbole de la génération. Cette procession particulière était la forme qu’avait prise, sous l’influence de Bacchus, le cômos, d’où la comédie a tiré son nom. Le mot cômos, aussi ancien que la poésie hésiodique, désignait les promenades joyeuses, accompagnées