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LA RELIGION
DANS ARISTOPHANE


Peut-il être sérieusement question de religion à propos de l’ancienne comédie athénienne ? Le doute semble assez naturel. Dans le riche développement des diverses littératures, il s’est présenté une fois une forme de poésie dont rien, à aucune époque et chez aucun peuple, n’a depuis égalé la libre hardiesse. Ni les satires les plus virulentes, ni les parodies les plus effrontées, ni les grossièretés de la chanson populaire n’en donnent, dans les temps modernes, une idée approchante. Pour ne parler que du théâtre, qu’est-ce que le gracioso espagnol et les bouffons de Shakspeare auprès des personnages d’Aristophane ? Il faut descendre, si l’on en veut trouver un émule, jusqu’à Karagheuz, cet être lubrique qui fait les délices du cynisme oriental. Encore y a-t-il cette différence, qu’au lieu de figurines appliquées sur un transparent la comédie athénienne offrait aux yeux du public des acteurs en chair et en os dont les indécentes bouffonneries se continuaient pendant le cours d’une longue pièce. Elle s’attaquait à tout ce que le respect semblait devoir protéger, aux dieux, aux magistrats, aux institutions, à la vie privée comme à la vie publique ; aucune barrière, ni la gloire, ni la mort elle-même, ne garantissait de ses coups. Au milieu de cette débauche illimitée qui prenait complète possession de la scène et y représentait l’outrage effréné dans tous les sens, quelle place pouvait-il y avoir pour la religion, pour les formes et les idées traditionnelles de la foi, ou pour cet ensemble d’émotions sincères et profondes qui s’appelle le sentiment religieux ? Contre toute attente, les deux se rencontrent dans l’ancienne comédie athénienne, et même ils y ont une importance considérable.