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minuscule où l’on faisait circuler la liqueur ; ceux d’aujourd’hui veulent fabriquer pour nous des tasses à anses, et depuis dix ans ils n’ont pu réaliser un modèle pleinement satisfaisant. C’est dans les collections particulières, surtout dans celle que M. Gernuschi a mise si libéralement sous les yeux du public, qu’il faut aller étudier le vieil art japonais. C’est là qu’on trouvera ce faire ample et solide, cette sûreté de main et d’idée, cette souplesse d’allures, ce mélange de malice et d’ingénuité dont les meilleurs pastiches contemporains ne donnent qu’une image affaiblie[1]. La part du Japon reste belle encore même après ces réserves nécessaires. Si sa verve originale s’est épuisée, il n’a pas perdu les qualités qui constituent l’ouvrier de choix, et nulle approbation n’est plus justifiée que celle qu’obtiennent, sous ce rapport, d’intelligens travailleurs qui seraient sans rivaux s’ils étaient sans devanciers.

A Dieu ne plaise que ces réflexions aient pu contrister l’âme des heureux acheteurs, ou ébranler chez aucuns cette foi robuste qui sauve de tous les désenchantemens ! Quelques malencontreux censeurs, épris de la naïveté du vieux génie national, n’empêcheront ni bibelots de trouver acquéreurs, ni acquéreurs de trouver chacun son affaire excellente. Qu’ils se rappellent l’aventure prêtée à l’un de ses personnages par d’Holberg, le comique danois : un brave garçon, revenant dans son village après avoir quelque peu étudié à la ville, jouissait à peu de frais d’une réputation d’habile homme ; il lui arriva par malheur un jour de dire que la terre tournait autour du soleil ; aussitôt gens de le dauber et brocards de pleuvoir. N’imitons pas jusqu’au bout ce villageois trop sincère et tâchons d’analyser la séduction qu’exercent aujourd’hui des œuvres de second ordre et de seconde main. Peut-être arriverons-nous en fin de compte à nous mettre d’accord avec le public, ce qui est toujours le plus sage parti pour un critique.

L’indulgence ou la sévérité du jugement qu’on porte sur un art dépend avant tout de ce qu’on attend de lui. Poursuivi par nos réminiscences, nous lui demandons de résumer dans la forme qui lui est propre, la valeur, les instincts, le tempérament particulier de la race, et l’exhibition banale du Champ de Mars est pour nous une

  1. Ces lignes étaient déjà livrées à l’impression lorsque se sont ouvertes les galeries de l’art rétrospectif. Les merveilles, envoyées par de nombreux amateurs, en tête desquels il faut placer M. Guimet, sont venues justifier la préférence que nous avions indiquée en faveur des anciennes productions. Nulle part encore on n’avait réuni un plus grand nombre de bibelots d’un style plus pur et d’une exécution aussi parfaite. Un heureux complément est venu s’y ajouter : grâce aux toiles dont un artiste de talent, M. Régamey, a couvert les murs, le visiteur européen voit revivre sous ses yeux, avec une vérité saisissante, les principales scènes de la vie nationale. Dans une série de tableaux pris sur le fait et brossés d’une main sûre, M. Régamey a donné la note juste et précisé les caractères typiques, qu’on avait jusqu’à lui exagérés ou travestis.