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montagnes en saillie et fleuves en creux, où l’or du dessin va se perdre par de savantes dégradations dans celui du fond. Des armoiries semées d’une main discrète égaient les supports verticaux et les tablettes. Des coins d’or ou d’argent ciselé encadrent les arêtes saillantes, et achèvent de donner à l’ensemble un caractère de richesse et de perfection. Le tantseu est un meuble très prisé des Japonais ; il sert à poser des livres et des rouleaux de papier à côté de l’écrivain. On en trouve encore chez les nobles ; c’est de tous les débris de leur grandeur passée celui dont ils se séparent le moins volontiers. Tel est cependant le malheur des temps que les anciens deviennent rares, pour ne pas dire introuvables, et que, pour satisfaire aux demandes de l’étranger, il faut en fabriquer de nouveaux. Quant aux rares cabinets de laque rouge aux moulures creuses, ils sont faits directement à l’imitation de la Chine et tombent sous le reproche d’inélégance qui s’applique à tous les produits de ce pays.

Le mode de fabrication des laques explique pourquoi les anciens sont d’un prix très supérieur aux nouveaux. Le vernis extrait du fameux arbre rhus vernicifera et préparé suivant des recettes ésotériques est étalé en couches successives sur l’excipient. Il faut attendre que la première couche soit entièrement sèche avant d’en appliquer une seconde, et chacune doit être extrêmement légère pour s’incorporer à la précédente ; c’est à force de repasser ainsi le pinceau, à plusieurs semaines d’intervalle, qu’on finit par obtenir cette espèce de placage qui fait corps avec le bois et atteint parfois une épaisseur de plusieurs millimètres. On n’a fait encore que préparer ainsi le fond destiné à recevoir des ornemens dorés, qui, pour être d’un beau relief, demandent à leur tour un travail analogue et une semblable longanimité. Il faut dix-huit mois pour produire une laque demi-fine ; mais il fallait des années pour achever les meubles dont on voit quelques échantillons au Champ de Mars. Ces vieux laques sont d’une telle solidité qu’après une immersion de huit mois au fond de la mer, lors du désastre du Nil qui les ramenait de Vienne, ils furent retirés de leur caisse intacts. Le bois en est tellement sec qu’il devient d’une extrême légèreté, signe caractéristique d’authenticité.

Les petites boîtes, qui semblent faites d’or liquide solidifié, se recommandent par une même recherche minutieuse. Quelle différence entre ces bijoux délicats et les pièces balourdes dont nous encombre l’importation ! C’est encore un délicieux bibelot que ces troncs de bambou naturels enjolivés, pour tout ornement, d’une simple feuille de bambou en or fin, ou d’une marguerite autour de laquelle voltige un passereau. Il faudrait en citer beaucoup du même genre. Les Japonais excellent à jeter sur le bois brut, avec une sorte de désinvolture, leurs motifs habituels de décoration, et