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un assortiment complet de curiosités selon leur goût réel ou présumé. On a donc entassé dans les vitrines tous les articles reconnus jusqu’ici pour être d’une importation facile. Les Chinois, renchérissant selon l’usage des nouveaux venus, ne se sont pas contentés des potiches ventrus et des magots que l’Europe leur achète depuis des siècles. Ils ont fabriqué, à notre intention, une grande quantité de mobiliers de formes européennes ou réputées telles, dont la laideur, il faut bien dire le mot, ressort d’autant mieux qu’au milieu de ces produits hybrides se trouvent disséminés de beaux objets franchement chinois et dignes de la vieille réputation chinoise par la finesse du travail, l’heureux contraste des couleurs et la majesté des lignes. Il est nombre de paravens représentant des oiseaux de paradis et des canards mandarins brodés sur soie, le tout encadré de bois noir de Canton, il en est un surtout de dimensions énormes formé de feuilles de cloisonné, qui, tout en demeurant de lourdes machines, attestent du moins la science décorative et l’habileté, de main des ouvriers. Quant aux salons rouge et or, rose et noir, qui s’étalent si complaisamment sous les yeux des chalands, ce n’est certes blesser personne que de les déclarer affreux, puisqu’ils ne sont d’aucun pays ni d’aucun style. On pousse la prévenance jusqu’à nous apprendre que tel lit en bois de Canton est un fac-similé de celui du Fils du ciel, que l’on met ainsi de complicité dans la réclame. Il paraît que les négocians Anglais, organisateurs des envois de Chine, ont été plus heureux que nos ambassadeurs : ceux-ci n’ont jamais pénétré jusqu’ici dans le palais impérial ; ils eussent été sans doute moins prompts à en dévoiler les mystères et la simplicité patriarcale. Le souverain de 400 millions d’hommes coucher dans un lit de 25,000 francs ! quel dénûment !

N’insistons pas sur ces erreurs, et arrêtons-nous devant des meubles de forme nationale, comme les sièges carrés, les tables de marbre montées sur un pied en bois sculpté, certains cadres dont l’ornement consiste en une grecque en bois artistement découpé. Dans ces modèles indigènes, on retrouve du moins, à défaut de beauté, cette originalité qui a suffi pour populariser chez nous les produits de l’art chinois. Les meubles en rotin incrusté méritent le même éloge, quoique l’exécution en soit très inférieure aux incrustations de nacre du Tonkin, qu’on peut voir à notre exposition de Cochinchine. Quelques ivoires précieusement fouillés attirent l’attention moins par leur apparence que par les prix ridicules auxquels ils sont cotés. Il est difficile de rien imaginer de plus minutieux. Ces personnages lilliputiens, taillés par douzaines dans le bloc, avec lances, sabres, bonnets pointus, découpés en épargne, donnent une haute idée de la patience des artisans qui s’y emploient ; mais c’est tout. Le sentiment de l’art ne se manifeste ni dans la