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Psytalie sont-ils arrivés pour les énerver jusqu’à eux ? Ou faut-il croire avec le poète Eschyle, un des héros de ce drame épique, « qu’une inspiration de génie » vient de les livrer à l’étreinte des Grecs ? Eschyle a vu « les navires hellènes enserrer de leurs anneaux concentriques les vaisseaux perses. » Qu’on nous pardonne nos doutes, Eschyle, suivant nous, n’a rien pu voir de semblable. Oublie-t-il que la flotte des Hellènes, — c’est lui qui l’affirme, — ne se composait que de 300 navires, que les généraux de Xerxès en commandaient 1,000 ? Envelopper 1,000 vaisseaux, 600 même, avec moins de 300, — car 10, de l’aveu du poète, ne prirent point part au combat, — ce n’est pas une manœuvre ; ce serait plutôt un miracle. Comme tant d’autres, Eschyle, désireux de charmer et d’enthousiasmer ses auditeurs, aura fait de la tactique après coup. La tactique peut jouer un grand rôle dans la préparation de la lutte. Quand la mêlée est une fois établie, la tactique n’est pas seulement impuissante, elle est impossible. Thucydide ne nous apprendrait pas que la stratégie navale avec ses manœuvres concertées à l’avance ne précéda pas chez les Grecs la guerre du Péloponèse, que nous n’en serions pas moins incapables d’expliquer par quels procédés d’entente inconnus, à l’aide de quelle langue télégraphique ou de quels signaux généraux la flotte d’Eurybiade et de Thémistocle réussit à former cet ordre circulaire qui devait si brusquement changer la face de la bataille. La vérité n’est pas là ; elle est dans le rôle qu’Hérodote attribue au vaillant chef athénien, le montrant prompt à courir de sa personne sur les points menacés, toujours actif, toujours au plus chaud du combat, l’ivresse de la lutte sanglante dans les yeux, et la joie de voir des alliés jusque-là douteux démentir de funestes présages peinte sur tous ses traits. « Crois-tu maintenant, lui crie d’une voix retentissante le fils de Crios, Polycrite, crois-tu que les Éginètes soient du parti mède ? » Quand il parle ainsi, Polycrite vient de couler un navire sidonien. Partout où paraît « le signe qui indique la présence du général de la flotte athénienne » le conflit reprend avec une nouvelle vigueur. On interpelle Thémistocle, on l’acclame, Thémistocle ne songe pas alors à faire des signaux. Que de plans de bataille on a dressés, les uns pour justifier la défaite, les autres pour donner à la victoire une nouvelle saveur ! A Trafalgar, Churruca, interprète passionné des griefs espagnols, critique avec amertume la prétendue tactique de Villeneuve ; vingt ans plus tard, l’amiral Ekins nous expose que nous avons été battus pour avoir rangé nos vaisseaux en ordre concave, quand nous aurions dû les disposer en ordre convexe. Villeneuve, hélas ! n’a voulu qu’une chose : développer son armée en ligne droite, selon les anciens