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gagnait si vite qu’il n’eut bientôt plus que l’arrière du navire pour refuge. Ce fut alors que quelques marins éperdus coururent au pavillon pour l’amener ; le pavillon était sous la garde d’un aspirant. L’enfant tira son sabre, écarta les mutins, et le Re d’Italia descendit, ses couleurs hautes, dans le gouffre. Le lendemain l’escadre de Persano recueillit près de 200 hommes qui s’étaient attachés à des épaves. Peu de blessés, beaucoup de noyés, voilà ce qu’il faut attendre désormais d’un combat naval. Nous retournons, je l’ai déjà dit, à la marine des anciens.

La situation des soldats débarqués sur l’îlot de Psytalie est devenue critique. Ils manquent à la flotte, la flotte également leur fait défaut, car elle ne les flanque plus. Aristide songe à tirer parti de ce mutuel abandon. Parmi les guerriers rangés sur le rivage de Salamine, il prend une troupe choisie, une troupe composée d’hommes pesamment armés et tous Athéniens. Il les fait passer sur l’îlot occupé par les Perses. Ce n’est pas un nouveau combat qui s’engage ; c’est un massacre impitoyable qui s’accomplit. Les Perses sont parqués dans Psytalie comme dans un abattoir ; ils tombent accablés sous une grêle de traits et de pierres. Le tranchant du glaive achève les blessés. La vaste baie s’emplit de gémissemens et des hurlemens du désespoir. Ces cris, le rude Eschyle, sept ans après, croyait les entendre encore, et son récit faisait frémir la Grèce. Combien parmi les Perses de chefs illustres ne reverront pas l’Asie ! Le commandant de la flotte lui-même, Ariabigne, ce fils de Darius, ce frère de Xerxès, qui conduisait naguère 1,200 vaisseaux, a trouvé la mort au milieu des débris flottans de ses trières. Quand deux coqs armés de l’ergot d’acier se présentent dans l’arène, il serait difficile de deviner quel sera le plus intrépide. Les plumes hérissées, les deux vaillans champions se précipitent l’un sur l’autre. Leur furie est égale. Les parieurs s’inquiètent, les enjeux les plus confians ne semblent tenir qu’à un fil. Tout à coup un des adversaires se dérobe. Les huées de la foule, les excitations de son maître sont impuissantes à le ramener au combat. On dirait un de ces héros d’Homère qui vient d’apercevoir le bras d’un dieu tendu dans la nuée contre lui. Pareille défaillance se remarque vers la fin de toutes les batailles. Il y a un moment où l’un des partis cède au sort, sans qu’on puisse reconnaître au juste ce qui le fait céder. Les Perses, — tous les rapports qui nous sont parvenus en font foi, — montrèrent beaucoup plus de bravoure dans les eaux de Salamine qu’ils n’en avaient montré dans les eaux de l’Eubée. Ils combattaient sous les yeux de leur roi, d’un roi aussi terrible dans sa justice qu’inépuisable dans ses récompenses. Leur courage pourtant soudainement a fléchi. Les gémissemens de